Regarderez-vous le Bye Bye ce soir ? Chose certaine, comme
le veut la tradition, vous en parlerez ou en entendrez parler abondamment.
Au cours des prochains jours, les médias et les réseaux
sociaux regorgeront de critiques et de commentaires sur ce que l'on aura aimé
ou pas du Bye Bye 2025. On s'avisera sûrement de critiquer les comédiens, le
choix des sujets, la réussite ou non de certaines imitations. Pas de doute que
la faillite de notre système de santé et la crise entre nos médecins et notre
ministre de la Santé Christian Dubé, le troisième lien (encore et toujours),
les déboires des gouvernements Legault, les virages abrupts de Mark Carney, les
esclandres de Trump au pouvoir, Mike chez Rona, etc., ont des chances d'occuper
une place de choix dans cette revue de fin d'année. C'est toujours amusant
quand on regarde l'émission du Bye Bye de confronter la lecture de l'actualité
qui en est faite avec la nôtre. Bien sûr, il y a aussi la façon dont cela sera
abordé. Chose certaine, critiquer le Bye Bye, c'est la routine du jour de l'an.
Business as usual. Mais si l'on se demandait, plutôt que de jouer au critique
spécialisé du Bye Bye de cette année, d'où vient cette tradition de se réunir
en famille pour voir les faits marquants de l'année.
Le Bye Bye de Radio-Canada
Certains diraient à juste titre de la revue de fin d'année,
le Bye Bye, qu'il est une tradition bien ancrée, perpétuée par la Société
Radio-Canada depuis 1968.
Voici l'historique que l'on peut retrouver sur Wikipédia
:
« L'émission a été présentée toutes les années de 1968 à
1998. Toutefois, en raison de la démission des membres de l'équipe du Bye Bye
1997, le spécial n'a pas été présenté cette année-là. Cependant, une
rétrospective des meilleurs Bye Bye avait été diffusée. En 1998, Daniel Lemire
prend en charge toute la structure du Bye Bye. Ce fut le dernier spécial
jusqu'à ce que Radio-Canada engage Véronique Cloutier pour une nouvelle formule
en 2003. L'année 2004 ayant été difficile pour Cloutier, Radio-Canada a décidé
de ne pas renouveler l'expérience. »
À la demande populaire et constatant qu'il n'y avait plus de
domination télévisuelle la veille du Jour de l'an, Radio-Canada engage le
groupe Rock et Belles Oreilles (RBO) pour concevoir une nouvelle mouture du Bye
Bye, celui de 2006, afin de souligner les 25 années d'existence du groupe.
C'est aussi RBO qui a conçu le Bye Bye 2007. Toutefois, en 2008, Radio-Canada
s'est tournée à nouveau vers Véronique Cloutier pour animer et produire cette
revue télévisée de fin d'année.
Avant de recevoir l'appellation Bye Bye, le concept a été
présenté sous un autre nom, soit Salut '57 !, diffusé le 31 décembre 1956, le
31 décembre 1957 et puis pendant trois autres années, de 1959 à 1961, c'est
l'émission Au p'tit café qui se charge de la revue de l'année qui se termine.
D'autres comme Zéro de conduite, Ça va éclater ! et Les Couche-tard furent
aussi utilisés pour les spéciaux de fin d'année présentés par les
télédiffuseurs.
La comédienne et humoriste Dominique Michel a participé à
pas moins de dix-sept Bye Bye dans toute sa carrière, incluant le spécial de
1997, 30 fois Bye Bye. Ce fut ainsi son dernier Bye Bye.
Cela conforte sûrement celles et ceux qui ont répondu que le
Bye Bye est une tradition purement télévisuelle implantée par la Société
Radio-Canada. Mais ce n'est pas toute la vérité. S'il est vrai que la formule
des Bye Bye télévisuels est issue de Radio-Canada et de la télévision, la
tradition des revues d'actualité est un pur produit du début du théâtre et du
début de la scène à Montréal au 19e siècle. Voyons cela de plus près.
Montréal, Québec, Canada, 1900
Les premières revues d'actualité occupent une large place
sur la scène culturelle montréalaise au début du 20e siècle. La population se
prend d'affection pour ces nouveaux produits culturels et on y retrouve autant
un public ouvrier qu'un public de classes bourgeoises. C'est d'ailleurs à
partir de ces revues d'actualité que se créera au Québec une véritable
tradition théâtrale.
Les revues d'actualité sont des spectacles hétéroclites
composés de plusieurs sketchs, chansons, saynètes et monologues. De façon
générale, ces revues traitent d'événements d'actualité de la vie sociale de
l'époque et elles mettent en vedette des politiciens et des personnalités
connues. On y retrouve aussi des personnages insolites inventés de toutes
pièces comme le personnage Maison à louer, Scandale de l'électricité. Règle
générale, la trame narrative est assurée par une commère ou un compère qui
raconte au public présent une histoire en se servant de lieux et de
personnages.
La meilleure revue de cette époque selon les auteurs est Le
Diable en ville d'Alexandre Sylvio. La presse relate ce spectacle de la façon
suivante : « Le diable est revenu sur terre pour se rendre compte de ce qui s'y
passe, étant donné du grand nombre de mortels qu'il reçoit dans son domaine. Il
fait le tour de la ville et avec ses deux personnages qui l'accompagnent, on
visite l'Hôtel Mont-Royal, on rencontre l'heure normale, l'amateur de radio,
une salle de théâtre, un cinéma. Les situations sont cocasses et l'humour est
au rendez-vous. » On retrouve là l'essence même des Bye Bye d'aujourd'hui, même
si le produit culturel a beaucoup évolué.
Des racines françaises
« Ces revues d'actualité ont des racines proprement
françaises. Elles ont été les principales attractions culturelles à Montréal de
1900 à 1930 et ont accompagné la venue de la modernité au Québec. On doit les
premières revues d'actualité locale à des Français établis à Montréal tels les
frères Delville, Numa Blès et Lucien Boyer. Par la suite, on retrouve une
influence américaine par le biais des spectacles de variétés et du burlesque.
Alexandre Sylvio produit Y'en a dedans en 1927. Ce spectacle aligne saynètes,
dialogues, sketchs, parodies, chansons en solo ou en duo, en plus d'un
burlesque de la vie moderne intitulé Le progrès en l'an 50. » (Lacasse et
coll., p. 103.)
Les revues d'actualité connaîtront un immense succès et
elles seront supplantées à la fin des années 30 par la radio et le théâtre qui
commencent à prendre de l'importance sur les scènes de Montréal. Ce n'est que
vers la fin des années 1950, plus précisément en 1957, que ces revues
d'actualité reprendront forme à la télévision avant de devenir la tradition des
Bye Bye que nous connaissons si bien aujourd'hui.
Le Bye Bye 2025
Au moment où j'écris cette chronique, je ne sais pas si le
Bye Bye 2025 sera une bonne cuvée. Je sais cependant qu'il fera selon toute
vraisemblance une large place à la guerre en Ukraine, au conflit toujours
latent au Moyen-Orient, à l'assassinat de Charlie Kirk et à la présence des
polices ICE dans les grandes villes américaines. Reste à voir le traitement que
l'on fera des pirouettes idéologiques de Mark Carney sur l'environnement, de la
démission de Steven Guilbault et de la présumée marche dans la neige de
François Legault. Comme il est dit souvent, on verra ! Chose certaine,
l'édition du Bye Bye 2025 fera l'objet de moult commentaires de la part de tous
les observateurs, comme le sont toutes les émissions de télévision qui ont
encore le privilège d'avoir une cote d'écoute de plus d'un million de
téléspectatrices et de téléspectateurs. Ce que je sais cependant, c'est que ce
Bye Bye 2025 est issu d'une vieille tradition de revue d'actualité qui a dû
faire face en son temps à de nombreuses critiques et même à la censure de
l'Église catholique. Une Église qui n'aimait pas beaucoup le théâtre léger et
l'humour grinçant de pièces comme Le Le Diable en ville. Autres temps, autres
mœurs, me direz-vous.
Ce qu'il faut retenir, c'est que si la critique est parfois
dure envers nos créateurs culturels, nous pouvons au moins nous consoler du
fait que nous n'avons plus la censure de l'Église, bien que nous ayons
maintenant celle de Paul St-Pierre Plamondon. En ce début d'année 2026,
rappelons-nous combien la liberté d'expression est une valeur chère pour nous
tous...
SANTÉ, BONHEUR et PROSPÉRITÉ pour l'année 2026 !
Lectures recommandées : Germain Lacasse, Johanne Massé et
Bethsabée Poirier, Le diable en ville, Alexandre Sylvio et L'émergence de la
modernité populaire au Québec, Montréal, Presses universitaires de Montréal,
2012, 306 p.
N. B. Le texte de cette chronique a déjà été publié, mais
cette version est remaniée.