C'est l'histoire du flocon qui fait déborder la coupe. Ou la
cour. Une histoire qui commence par : n'en jetez plus, la cour est pleine.
Je veux parler des directives émises par un Centre de
services scolaires de la région de Drummondville. Il faut mesurer la hauteur
des buttes de neige dans les cours des écoles et s'assurer que la pente
n'accuse pas plus de 25 degrés d'inclinaison. Il y a une liste d'autres
directives aussi.
Bon.
Je commence par une anecdote du type « dans mon
temps »... Vous savez, le « dans mon temps » qui fait que les yeux
des plus jeunes se retournent complètement par dépit. Ils n'ont rien inventé.
C'est la même chose depuis des générations, d'ailleurs !
Donc. Je me souviens de l'intéressant dénivelé entre la cour
de l'école St-Esprit et celle de l'école Gagnon dans l'ouest de Sherbrooke. Une
côte naturelle largement exploitée en hiver. Et quand les déneigeurs s'en mêlaient,
ça nous faisait des jeux de buttes intéressants! Mon souvenir m'amène à un
matin où tout était glacé. Une pluie qui avait gelé dur, j'imagine. Quand on
est sortis pour aller vers les buttes, on s'est fait apostropher :
« Pas aujourd'hui. C'est glacé. Jouez sur le plat! » « OK,
d'abord ». Fin de l'anecdote.
Je me doute bien que, derrière cette nouvelle liste de
directives concernant les buttes de neige, il y a des gens de bonne foi. Une
bonne foi sûrement influencée largement par les assureurs. Disons déjà que, à
la suite des réactions intenses de part et d'autre, les directives sont
devenues des recommandations.
Mais quand même.
Nous vivons dans une ère de surprotection impressionnante et
désarmante !
Impressionnante, parce que tout y passe. Tout est normé.
J'applaudis le port du casque au hockey, en vélo ou en ski. Vous savez, ces
situations où on allie vitesse et chutes violentes. La ceinture de sécurité des
voitures est une très bonne idée aussi.
Mais quand on enseigne à son enfant à faire du vélo en
ajoutant le port des protège-poignets, coudes et genoux en plus du casque, je
trouve ça fort en café...
Désarmante aussi, je disais. Installer trop de normes vient
désarmer les enfants dans le développement de leurs réflexes de protection. En
leur enseignant qu'il faut avoir peur de tout, on hypothèque grandement leur
autonomie face à une situation nouvelle et inconnue. Si chaque fois qu'on met
le pied dehors, on se retrouve en danger, on apprend à se replier sur soi.
Mauvais réflexe. La débrouillardise vient avec la connaissance des éléments et
des dangers qui nous guettent. Et, pour que cette reconnaissance s'installe, il
faut qu'il y ait contact avec un minimum de dangers.
Et il y a encore pire.
Avec toutes ces normes qu'on s'évertue à inventer « pour que
plus jamais un enfant ne se blesse » (!), on crée des victimes de la vie. Dès
qu'un événement plate survient, c'est qu'une norme n'a pas été respectée. C'est
donc que quelqu'un ne l'a pas appliquée ou n'a pas surveillé adéquatement son
application. On apprend à l'enfant que s'il se fait mal, c'est la faute de
quelqu'un d'autre et que la bonne posture à adopter, dans ces cas, est celle de
victime.
On crée de l'anxiété en lieu et place de l'apprentissage de
la confiance en soi.
À trop protéger tout le monde et tout le temps, on fabrique
des êtres incapables de faire face à une situation inconnue.
Et le réflexe sera le repli sur soi et le refuge dans la
victimite.
Dans mon anecdote, les surveillants de la cour nous avaient
dit : « Pas « pas aujourd'hui ». Ils n'étaient pas complètement insouciants.
Ils appliquaient une règle de base : savoir reconnaître le danger.
Mais reconnaître le danger quand on ne l'a jamais vu, c'est
difficile.
Alors, laissons donc les enfants escalader les buttes de
neige. Laissons-les apprendre à se partager l'espace. Laissons-les apprendre à
se protéger quand ils glissent. Et laissons aux surveillants le soin
d'intervenir quand le danger rôde vraiment.
Et si l'enfant se blesse pareil, ne blâmons pas automatiquement
le système qui nous entoure. Le sens des responsabilités ne s'apprend pas en
pelletant la faute sur quelqu'un d'autre chaque fois qu'un incident survient.
La vie ne sera jamais un « safe space » (espace sans danger
aucun). Pourtant, nous sommes confrontés à une obsession évidente d'éviter tout
problème sur la route de nos enfants.
Je ne crois pas que ce soit un service à leur rendre.
Clin d'œil de la semaine
Une enseignante disait cette semaine qu'elle songeait à
entourer les enfants dans du papier-bulle avant de les envoyer jouer dehors. Avant
que quelqu'un songe à la poursuivre pour avoir voulu étouffer un enfant, je
l'affirme : c'était du sarcasme.