La médecine, quoi que l'on puisse en penser,
n'est pas une science. C'est un art dont la pratique est fondée sur la science.
Être médecin, c'est l'acte d'humanité le plus grand qui soit. C'est pourquoi
nous avons peine à reconnaître notre médecin préféré dans les vociférations
syndicales corporatistes véhiculées par les puissantes corporations de
médecins, tant des spécialistes que des omnipraticiens. Pouvez-vous m'expliquer
comment une dispute sur des enjeux salariaux peut devenir un drame national ?
La seule explication, c'est qu'aujourd'hui les médecins occupent la toute
première place dans l'estime collective, ayant remplacé dans notre imaginaire
les prêtres d'hier. Aujourd'hui, nous sommes loin de la vision naïve de la
pratique de la médecine que nous renvoyait la série télévisée américaine Dr.
Welby. Pour celles et ceux qui ne savent pas ce que représentait cette série,
permettez-moi de vous en résumer l'essentiel.
Série américaine diffusée sur la chaîne ABC de
1969 à 1976. Elle a été diffusée sur les ondes de Radio-Canada à partir de
1971. Le thème principal est le combat d'un médecin contre la déshumanisation
de la médecine et contre l'ultraspécialisation. La série a été souvent
critiquée par ses contenus controversés tels que l'homosexualité, le viol
d'élèves par des enseignants, la pédophilie, le sexisme et la discrimination
des femmes. Bref, le vrai bon docteur, c'est le Dr Welby.
Revenons à nos moutons...
Depuis l'adoption récente d'une loi spéciale
relative à la rémunération des médecins, le milieu de la santé au Québec fait
face à une crise majeure qui s'est traduite notamment par la démission du
médecin et ministre Lionel Carmant qui avait maille à partir avec sa femme et
sa fille sur cet enjeu. Cette situation, marquée par une crise systémique et un
manque d'accessibilité aux soins, soulève des interrogations légitimes sur
l'efficacité de nos investissements en santé. Malgré les millions de dollars
injectés chaque année à même nos taxes, les listes d'attente pour les
interventions chirurgicales demeurent alarmantes. De plus, la transformation de
la pratique médicale, éloignée des idéaux du Dr Welby - symbole d'une médecine
empathique et humaine - souligne une dégradation des relations entre médecins
et société. Il est donc crucial de poser un regard critique sur cette réalité,
d'analyser les responsabilités des différents acteurs impliqués et de proposer
des solutions viables pour restaurer la confiance et l'efficacité dans notre
système de santé.
La crise du Système de Santé
La crise de la santé au Québec n'est pas un
phénomène récent. Elle résulte d'une accumulation de problèmes structurels,
dont le financement, l'accessibilité et la gestion des ressources humaines. La
loi spéciale adoptée par le gouvernement Legault, qui impose des changements
sur la rémunération des médecins, a exacerbé des tensions déjà existantes. Les
syndicats de médecins dénoncent cette loi qu'ils jugent contraignante et
dévalorisante. Ils estiment que de telles mesures ne font qu'aggraver le climat
de travail tout en nuisant à la qualité des soins dispensés aux patients.
Les patients, de leur côté, expriment un
sentiment d'abandon. Ils se sentent souvent en porte-à-faux devant un système
qui semble privilégier les normes administratives à la relation humaine. Les
longues attentes pour des consultations médicales ou des interventions
chirurgicales alimentent un sentiment d'impuissance et de frustration. La
promesse d'un accès rapide et de soins de qualité, inscrite dans les valeurs
fondamentales de notre système de santé, est désormais remise en question.
La médecine moderne est indéniablement
différente de celle d'il y a quelques décennies. L'avancée technologique,
l'augmentation des spécialités médicales ainsi que la bureaucratisation du
système de santé ont modifié la relation entre médecins et patients. Loin de la
figure du médecin omniscient et bienveillant, de nombreux praticiens se
trouvent aujourd'hui confrontés à une surcharge de travail, des exigences
administratives croissantes et une pression accrue quant à la rentabilité des
soins. Cette transformation a impacté non seulement la perception des médecins
par la société, mais également leur capacité à écouter et à prendre en compte
les attentes des patients.
La déshumanisation des soins, souvent critiquée,
peut en partie être attribuée à cette évolution. Le lien empathique, essentiel
dans la relation soignant soigné, s'estompe au profit d'un rapport plus
clinique et transactionnel. Pour redresser cette tendance, il est impératif de
réinscrire l'humain au cœur de la pratique médicale.
Nos attentes par rapport aux divers acteurs
Le gouvernement, en tant qu'entité responsable
de la santé publique, a le devoir d'établir des politiques qui favorisent non
seulement la viabilité économique du système de santé, mais également le
bien-être des patients et des professionnels de santé. La loi spéciale, bien
qu'ayant pour but de réformer le mode de rémunération, démontre une approche
davantage punitive que collaborative. Au lieu de favoriser un dialogue constructif
avec les syndicats, le gouvernement semble privilégier une relation de force,
ce qui ne peut mener qu'à une détérioration des relations de confiance. Il doit
aussi s'assurer de fournir tous les outils nécessaires aux médecins pour qu'ils
puissent accomplir leur mission dans le réseau.
Les syndicats de médecins, quant à eux, doivent
également se repositionner. Leur rôle est de défendre les intérêts de leurs
membres, mais il est tout aussi crucial de tenir compte des attentes et des
besoins des patients. Se retrouver dans une situation où les médecins sont
perçus comme des « otages » d'un système au bord du gouffre ne peut que
renforcer la fracture sociale. La résistance au changement, souvent motivée par
des préoccupations légitimes, doit être accompagnée d'une volonté de dialogue
et de compromis. S'il est vrai que la rhétorique du gouvernement à l'égard des
médecins sur leur éthique de travail est peu appropriée, il n'est pas moins
vrai que l'on n'a pas senti dans le discours des syndicats de médecins leur
empathie pour les patients contribuables privés de médecins ou qui voient leurs
interventions chirurgicales reportées. J'aurais aimé les voir manifester dans
les rues pour le bien des patients plutôt que pour leurs intérêts personnels.
La bonne foi et le dialogue, unique porte de secours
Pour s'en sortir et pour que la société
québécoise puisse retrouver un système de santé à la hauteur des sommes
importantes qu'elle y investit, la toute première solution passe par la mise en
place d'un dialogue constructif entre le gouvernement, les syndicats, les
professionnels de la santé et les représentants des patients. Des forums
réguliers pourraient être instaurés pour permettre l'échange d'idées et de
préoccupations en vue de coconstruire des solutions adaptées aux réalités du
terrain. Ce processus favoriserait non seulement une meilleure compréhension
des enjeux, briserait le monopole du dialogue gouvernement-syndicat de médecins
sur nos vies et inciterait également à faire émerger des propositions innovantes.
Plutôt que d'adopter une approche
unidimensionnelle, le gouvernement pourrait envisager un système de
rémunération qui valorise véritablement l'empathie et la qualité des soins. Des
incitations financières pourraient être intégrées pour récompenser les médecins
dont le travail est varié et axé sur le patient. Des modèles de rémunération
basés sur des indicateurs de qualité et de satisfaction des patients pourraient
favoriser une médecine plus respectueuse des attentes de la population. Il
serait aussi important de déléguer aux organismes régionaux de Santé Québec
l'arbitrage de ces différends en créant des solutions sur mesure pour chaque
milieu.
Évidemment, l'un des défis primordiaux est celui
de l'accessibilité. Une réévaluation du financement alloué à la santé est
indispensable. Cela pourrait passer par l'augmentation des budgets alloués aux
soins de santé dans le but de réduire les listes d'attente, d'embaucher plus de
personnel et d'améliorer les infrastructures. Le gouvernement doit également
envisager des alternatives, comme le développement de cliniques de soins
palliatifs ou de centres de santé communautaire, qui permettraient de
désengorger les hôpitaux et d'offrir des soins de proximité.
Une attention particulière doit être portée à la
médecine de famille, qui joue un rôle central dans la continuité des soins.
Promouvoir la prévention et la santé communautaire permettra non seulement de
désengorger les systèmes de santé, mais aussi d'améliorer les résultats globaux
en santé. Des programmes de sensibilisation et d'éducation à la santé devraient
être mis en place, afin d'informer la population sur l'importance de la
prévention.
Humaniser les soins et le système de santé québécois
En fait, la résolution de cette crise et la
remise à niveau de notre système de santé passent par l'humanisation des soins
et de notre système de santé. Il faut aider les médecins à retrouver l'essence
de leur mission qui est d'abord et avant tout une pratique de grande humanité
fondée sur la science et les technologies trop nombreuses parfois.
La crise actuelle du système de santé québécois
est le reflet d'un déséquilibre profond entre les attentes des citoyens, les
exigences des professionnels de santé et les impératifs du gouvernement. Si la
loi spéciale a révélé des tensions sous-jacentes, elle ouvre également la voie
à une nécessaire réflexion sur l'avenir du système de santé. Par le biais d'un
dialogue constructif, de réformes structurelles et d'une réinjection d'empathie
dans la pratique médicale, il est possible de reconstruire un système de santé
qui non seulement répond aux défis contemporains, mais qui est également en
phase avec les valeurs humaines essentielles. Seule une approche collaborative et
respectueuse des besoins de tous les acteurs impliqués pourra permettre de
restaurer la confiance et d'assurer les soins de qualité auxquels chaque
patient a droit. C'est à partir d'efforts de cette nature que nous pourrons
savoir ce que sont devenus les Drs Welby ?