Deux chroniques qui commentent l'actualité du Vatican en
moins d'un mois, les personnes qui me connaissent se demanderont ce qui se
passe subitement avec moi. Suis-je subitement devenu un catholique pratiquant ?
N'ayez crainte, j'observe ce phénomène comme un fait de société et qui mérite
notre attention puisqu'il envahit notre actualité. Le nouveau pape désigné par
les cardinaux, Robert Francis Prévost est un choix qui demeure mystérieux. Dans
toutes les listes que nous rapportent les médias, il ne figurait pas parmi les
papabiles les plus probables. On devisait sur l'équilibre des forces entre
progressistes et modérés. Celui qui a été choisi est un progressiste, mais
aussi un modéré. Le choix des cardinaux semble donc hautement stratégique et
adapté à la conjoncture de l'Église catholique romaine. Je laisserai aux plus
connaissant que moi le soin de commenter cet aspect de la question. Je suis
loin d'en être un spécialiste.
Il reste néanmoins que mon attention a été particulièrement
attirée sur l'impact politique de la venue de Léon XIV dans la conjoncture
politique internationale. Le fait que Robert Francis Prévost soit américain au
moment où le président de son pays d'origine bouleverse l'équilibre mondial
n'est peut-être pas aussi anodin que veulent le laisser croire les
commentateurs des faits religieux. Ces derniers cherchent à nous convaincre que
c'est un choix uniquement basé sur la spiritualité. Je veux bien le croire,
mais mon esprit critique cultivé par l'histoire semble pointer vers des
questionnements qui méritent d'être partagés avec vous ce matin. Le choix de se
réclamer du pape Léon XIII suscite ma réflexion. Laissez-moi vous expliquer ce
que j'en pense et pourquoi cela interpelle particulièrement un Québécois en
2025. Pour me faire bien comprendre, je dois faire un détour par l'histoire du
Québec en 1891, au moment où le pape Léon XIII a publié l'encyclique Rerum novarum
que j'ai étudiée à l'Université dans le cadre de mes cours d'histoire du
Québec.
Le Québec en 1891
Faisons ensemble un petit voyage dans le temps et
replongeons-nous dans le Québec en 1891. À la fin du XIXe siècle, le Québec
entre dans une phase de transformation radicale marquée par l'essor industriel
et l'expansion du capitalisme sauvage. Cette période, souvent désignée comme
l'âge d'or du capitalisme, le fameux âge d'or de Donald Trump, est caractérisée
par une croissance économique sans précédent, mais également par des inégalités
sociales croissantes et des conditions de vie précaires pour une grande partie
de la population. En 1891, la province se trouve devant des réalités
contrastées : d'un côté, l'enthousiasme pour le progrès et la modernisation et
de l'autre, la souffrance d'une classe ouvrière souvent exploitée.
Au tournant du siècle, le Québec se transforme en un
véritable foyer de l'industrialisation. Montréal devient un centre financier et
commercial important, attirant des capitaux et des entrepreneurs. Toutefois,
cette course au développement économique s'accompagne d'une absence de
régulation et de protections pour les travailleurs. Les propriétaires d'usines
et d'industries exploitent à outrance les ressources humaines. Les horaires de
travail sont éprouvants, les salaires sont souvent dérisoires, et les
conditions de sécurité au travail sont quasiment inexistantes. Dans les usines,
les femmes et les enfants se retrouvent à travailler de longues heures dans des
environnements dangereux pour des sommes à peine suffisantes pour survivre.
Cette quête de profits maximums à tout prix illustre bien le principe du
capitalisme sauvage où l'humain est souvent sacrifié sur l'autel du profit.
La population ouvrière vit dans des conditions déplorables.
Les logements sont souvent insalubres, mal entretenus, et croulent sous le
poids de l'humidité. Les quartiers ouvriers, tels que ceux de Griffintown à
Montréal, sont des véritables enclaves de pauvreté. Ces environnements sont
propices à la propagation de maladies et l'espérance de vie des travailleurs
est considérablement réduite.
Les enfants, souvent contraints à travailler dès leur plus
jeune âge, ne connaissent pas l'école, privant ainsi la classe ouvrière d'une
éducation élémentaire, condition nécessaire pour rompre le cycle de la
pauvreté. Ce phénomène contribue à la reproduction de l'inégalité sociale où
les enfants d'ouvriers sont peu susceptibles d'accéder à une mobilité sociale
ascendante.
Devant ces injustices, des mouvements ouvriers commencent à
émerger. Leurs premières revendications portent sur des horaires de travail
plus humains, des salaires décents et des conditions de travail sécuritaires.
En 1891, la montée en puissance des syndicats, bien qu'encore balbutiante,
commence à changer la donne. Les ouvriers prennent conscience de leur situation
et commencent à s'organiser pour revendiquer leurs droits. Un exemple
emblématique de cette lutte est le mouvement des travailleurs du textile qui
manifeste par diverses grèves et des batailles syndicales. Malgré la répression
souvent violente de la part des patrons et du gouvernement, ces luttes posent
les bases d'un éveil des consciences sur la nécessité d'un changement social et
d'une régulation du capitalisme.
En somme, le Québec en 1891 est le reflet d'une époque où le
capitalisme sauvage atteint son apogée, entraînant avec lui des conditions de
vie misérables pour une partie significative de la population. Les contrastes
entre la richesse des entrepreneurs et la pauvreté des travailleurs témoignent
d'inégalités criantes et d'une exploitation systématique. Cependant, cette
période est également le creuset d'émergence de mouvements sociaux et de luttes
ouvrières qui poseront les fondations des droits des travailleurs au XXe
siècle. Le Québec, face à ses défis, s'engage alors sur la voie d'une
transformation sociale nécessaire pour répondre aux aspirations d'une
population oppressée. En ce sens, le pape Léon XIII a favorisé par son
encyclique Rerum novarum un contexte favorable à l'émergence du Québec moderne
tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Parlons de
l'encyclique...
L'encyclique Rerum novarum, publiée en 1891 par le pape Léon
XIII, constitue un moment charnière dans l'histoire de l'Église catholique et
des mouvements sociaux. Son contenu traite des revendications sociales et
économiques des classes ouvrières à la suite des transformations qui ont marqué
la Révolution industrielle. Dans le contexte du Québec, cette encyclique a
entraîné des répercussions profondes et durables, influençant des mouvements
sociaux, des organisations et des politiques publiques.
La publication de Rerum novarum a eu un impact direct sur le
développement du mouvement ouvrier au Québec. En effet, à la suite de cette
encyclique, plusieurs syndicats se sont formés, cherchant à mettre en pratique
les enseignements du pape. Cette période a vu émerger des mouvements comme la
Ligue des droits du travail, qui prônait les idéaux de Rerum novarum. Ces
organisations ont joué un rôle crucial, notamment dans les luttes pour des
conditions de travail décentes, la réglementation des heures de travail et
l'instauration de la sécurité sociale.
L'encyclique a également entraîné des conséquences
politiques. Elle a encouragé une réflexion sur le rôle de l'État dans
l'économie et la société. Des leaders catholiques ont commencé à s'impliquer
davantage en politique, plaidant pour des réformes qui incluaient la protection
des travailleurs et l'instauration de politiques sociales.
Dans les années 1930, durant la Grande Dépression, l'État
québécois a commencé à adopter certaines mesures de protection sociale,
inspirées par les principes de la justice sociale de Rerum novarum. Ces
politiques ont proposé des solutions devant la détresse humaine, tant sur le
plan économique que social, initiant un changement vers un modèle
d'État-providence.
Léon XIV et le choix
de sa filiation
Dans cette perspective, en tant que Québécois, vous
comprendrez que je ne trouve pas sans intérêt le choix du nouveau pape de se
réclamer d'une filiation avec Léon XIII. L'héritage de Rerum novarum ne s'est
pas limité au début du XXe siècle. Il a perduré en influençant des mouvements
tels que la Révolution tranquille dans les années 1960, qui a vu le Québec
s'affirmer dans ses revendications sociales et politiques. Les idées promues
par cette encyclique ont continué à résonner dans des débats contemporains sur
les droits des travailleurs, la justice sociale et la responsabilité de l'État.
Dans le Québec moderne, les principes de Rerum novarum
restent pertinents. Les débats sur l'équité salariale, les conditions de
travail et les droits des travailleurs continuent d'être influencés par le
message de solidarité sociale et de justice. La présence d'écoles catholiques
et d'organisations à but non lucratif qui portent l'héritage de cette
encyclique témoigne de son influence continue.
De plus, dans un monde de plus en plus conscient des enjeux
environnementaux et sociaux, l'idée de responsabilité sociale des entreprises
(RSE) trouve une résonance dans les enseignements de Rerum novarum. Les
entreprises sont appelées à aller au-delà de la recherche de profit, intégrant
dans leur modèle d'affaires des considérations éthiques et sociales.
En somme, l'encyclique Rerum novarum a marqué l'histoire du
Québec d'une empreinte profonde, influençant non seulement le mouvement ouvrier
et les syndicats, mais aussi le paysage politique, éducatif et social. Ses
principes de dignité du travail, de solidarité et de juste rémunération
résonnent encore aujourd'hui au sein des débats contemporains sur la justice
sociale et les droits des travailleurs. L'héritage de Rerum novarum demeure un
fondement essentiel sur lequel s'appuyer pour aborder les défis du monde
moderne, faisant de cette encyclique un document non seulement historique, mais
un ouvrage qui est toujours d'actualité. Les leçons tirées de cet enseignement
papal continuent d'inspirer des générations à construire une société plus juste
et plus équitable. En ce sens, il a un intérêt à se questionner sur le nouveau
pape et le Québec...