Comme je l'avais fait en 2017, j'entends consacrer mes
quatre prochaines chroniques à l'avenir de Sherbrooke. J'essaierai dans ces
chroniques de poser les enjeux de la prochaine campagne électorale à Sherbrooke
du point de vue d'un Montréalais qui a adopté Sherbrooke comme sa ville il y a
plus de 50 ans. Je ne vous cacherai pas cependant que malgré le passage du
temps je me sens toujours montréalais dans l'âme. Tentons de voir à travers mes
yeux l'avenir de Sherbrooke.
Une série de chroniques
sur notre avenir
Dans une série de
quatre chroniques qui débute aujourd'hui et qui s'échelonnera jusqu'au 13 août,
j'entends réfléchir tout haut à l'avenir de cette ville à l'aube des futurs
choix électoraux. Une réflexion qui ne s'inscrira pas dans les sentiers
partisans, mais qui cherchera à dégager des voies d'avenir. L'identité de
celles et de ceux qui seront aux commandes de notre ville importe, mais
beaucoup moins que la vision d'avenir qu'ils proposeront.
Le taux de taxation,
le niveau de dépenses, les contrôles budgétaires sont des sujets importants
pour les citoyennes et pour les citoyens, mais pas autant que le choix de l'avenir
qui leur est proposé. Cette série de chroniques à propos de Sherbrooke
cherchera à alimenter la réflexion. Je débuterai par des interrogations sur ce
qu'est une ville au 21e siècle en m'appuyant sur des réflexions
de géographes, de politologues et d'urbanistes. Puis, ma seconde chronique
tentera de situer le développement de Sherbrooke dans son développement
historique. La troisième chronique tracera le bilan de ce que nous sommes
devenus depuis le regroupement imposé des villes du grand Sherbrooke par la
ministre Louise Harel du gouvernement Bouchard avec le concours actif de l'ancien
maire Jean Perrault pour qui cette nouvelle ville était un projet
incontournable.
Enfin, je tenterai de
proposer une liste de défis qui se posent à l'avenir de notre ville dans ma
toute dernière chronique. Une sorte d'aide-mémoire pour les candidats en
campagne électorale qui s'amorcera bientôt. Je souhaite contribuer à la
réflexion sur l'avenir de cette ville en dehors des sentiers partisans. J'espère
que vous serez sensibles à ces questionnements et qu'ils contribueront à la
réflexion collective.
De nos jours, toute
entité politique doit se façonner une histoire commune. Toutes les occasions
sont bonnes pour se donner un récit commun. L'histoire joue un rôle important
dans la création d'une identité. Le 375e anniversaire de
Montréal de même que le 400e Québec ont été des voies royales
pour la classe politique afin de mobiliser les acteurs d'une ville autour d'un
objectif commun. Tout est prétexte d'utiliser le véhicule de la Culture pour
créer un récit historique unificateur et pour chercher à poser un programme
commun concernant l'avenir.
À Sherbrooke, nous n'avons
pas eu de tels moments fondateurs d'une identité commune à toutes les
Sherbrookoises et à tous les Sherbrookois. On a bien eu une tentative avec les
fêtes du bicentenaire au lendemain de la fusion, mais outre l'œuvre de
Jean-Pierre Kesteman sur l'histoire de Sherbrooke et la série de peintures
commandées par la Ville à des artistes d'ici, on ne peut pas dire aujourd'hui
que le bicentenaire de Sherbrooke a marqué les mémoires. C'est bien là une des
sources du problème de cette ville, c'est que nous n'avons pas d'histoire
commune ni de récit commun.
Le potentiel est là.
Nous ne sommes pas assez convaincus de celui-ci pour y investir les sommes
nécessaires. Pourtant, il y a un récit à partager qui ferait la fierté de
toutes les Sherbrookoises et de tous les Sherbrookois. La première ville à
municipaliser son électricité, la cohabitation avec la communauté anglophone, l'enjeu
des Cantons de l'Est dans l'affrontement entre les patriotes et le gouvernement
colonial, la distanciation d'une bourgeoisie sherbrookoise d'avec la grande
bourgeoisie canadienne de l'époque, l'empreinte des loyalistes chez nous. L'industrialisation
et l'urbanisation de Sherbrooke et de sa région avaient une trajectoire
différente même si elle participait au même mouvement que celui perçu à l'échelle
canadienne.
Le regroupement des
villes en 2001 pour former une nouvelle ville fut à mon sens une occasion
manquée de se donner un récit commun et des projets fondateurs qui auraient pu
marquer le destin de Sherbrooke et la distinguer parmi les autres villes du
Québec.
Sherbrooke, une ville sans vision structurée
Le géographe français
Claude Raffestin dans un livre publié en 1980 et réédité en 2019, intitulé Pour
une géographie du pouvoir, a proposé une conception du rapport entre la
ville et ses composantes territoriales. C'est une vision politique qui nous est
bien résumée par Juan-Luis Klein dans un livre publié en 2017 aux Presses
universitaires du Québec intitulé Montréal, La cité des cités :
« Elle situe les villes entre deux pôles. Il y aurait d'un côté les villes au
sein desquelles les acteurs convergent sur la base d'une histoire commune ou d'une
vision stratégique. [...] De l'autre côté, il y aurait des villes plutôt
morcelées au sein desquelles les acteurs ne convergent pas et poursuivent leurs
intérêts propres sans égard pour les intérêts collectifs. » (Klein, Juan-Luis
et Richard Shearmur, Montréal, La cité des cités, Québec, Presses de l'Université
du Québec, 2017, p. 2. [Collection Géographie contemporaine.])
Vous aurez compris que
pour moi Sherbrooke se situe dans la deuxième catégorie. La catégorie d'une
ville qui n'a pas de récit commun, pas de vision commune et qui voit ses
projets être réalisés au gré des humeurs du moment et en regard des intérêts
des uns et des autres. C'est ce que j'entends lorsque j'écris parfois qu'il n'y
a pas de vision politique claire de l'avenir de cette ville.
Le manque de persévérance de Sherbrooke
Cette vision commune a
déjà cherché à émerger par plusieurs projets, mais notre manque de persévérance
n'a pas pu permettre qu'elle puisse véritablement naître et surtout être
partagée par nos élites et par la population. Pensons par exemple à cette
grande idée de faire de Sherbrooke une ville universitaire ou encore une ville
de l'innovation. Des énergies et des efforts importants ont été consentis à ces
visions, mais qui aujourd'hui se soucie de ces idées dans des projets concrets
et surtout mobilisateurs ? Il manque à Sherbrooke une identité forte commune.
Pourtant, on se contente de tenter de bâtir cette identité autour de projets
mobilisateurs comme aujourd'hui Well inc. ou hier la Cité des Rivières ou
encore une stratégie de développement économique des filières clés.
Toutes de bonnes idées, mais qui manquent d'une
vision articulée pour harnacher le tout dans un récit commun et partagé. La
première tâche urgente du prochain conseil municipal consistera à nous donner
un récit commun partagé de notre avenir. C'est un grand défi puisqu'aujourd'hui
nous sommes plutôt devant l'absence d'un récit commun partagé...