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Refus global : la honte de l’oubli

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 15 août 2018

Il y a soixante-dix ans et des poussières, le 9 août 1948, les éditions Mithra-Mythe lançaient, à la librairie Henri Tranquille, le livre Refus global, un manifeste décriant le conservatisme de la société québécoise politique et religieuse et rompant avec ses valeurs traditionnelles. Soixante-dix ans après, ce texte percutant est non seulement tombé dans l'oubli, mais aujourd'hui nous semblons avoir honte de cet héritage.

Au temps de l'appropriation culturelle, du triomphe du multiculturalisme et de la société du spectacle, nous sommes dans le déni de ce que nous sommes et de ce que nous avons été comme peuple en Amérique du Nord. À la veille d'une campagne électorale où peu de choses essentielles seront discutées, il n'est pas sans intérêt de se rappeler ce manifeste et ses auteurs. Regards sur un moment fondateur de l'histoire contemporaine du Québec.

Un contexte clérico-nationaliste

Le Québec des années 1940 et 1950 n'est pas le Québec que nous connaissons aujourd'hui. S'il est vrai que la Seconde Guerre mondiale fut le prétexte une nouvelle fois d'un sursaut nationaliste à l'égard de la crise de la conscription de 1942, l'Église catholique romaine poursuit sur son élan triomphaliste amorcé depuis la conquête anglaise de 1760.

L'alliance de nos prêtres avec le conquérant britannique a eu pour effet de mettre le peuple de parlant canayen sous une cloche suffocante et où toutes ses aspirations à une vie meilleure furent emprisonnées. À la fin des années 1940, des changements s'amorcent dans les mentalités. Dans le domaine des Arts, l'automatisme commence à s'imposer dans le sillage des écrits de Freud et de Nietzsche. Paul-Émile Borduas est un enseignant et un artiste qui est considéré comme un anarchiste. Il sera au cœur de la rédaction d'un manifeste qui changera à jamais la face du Québec et contribuera par ce texte à faire de cette date du 9 août 1948 un moment fondateur du Québec moderne.

Le manifeste du Refus global

Ses auteurs

Ce manifeste a plusieurs auteurs et comprend une dizaine de textes. Le manifeste était signé par un groupe qui estimait que le Québec avait « un sauvage besoin de libération ». Mené par Paul-Émile Borduas, alors âgé de 42 ans, et Fernand Leduc (32 ans), le groupe comprenait quatorze autres signataires, tous dans la vingtaine : les peintres Pierre Gauvreau (25 ans), Jean-Paul Riopelle (24 ans), Marcelle Ferron (24 ans), Marcel Barbeau (23 ans), Françoise Sullivan (23 ans) et Jean-Paul Mousseau (21 ans), le médecin Bruno Cormier (28 ans), la comédienne Muriel Guilbault (26 ans), l'éclairagiste Louise Renaud (26 ans), la designer Madeleine Arbour (25 ans), le photographe Maurice Perron (24 ans), le poète et dramaturge Claude Gauvreau (22 ans), l'écrivaine Thérèse Renaud (21 ans) et la future chorégraphe Françoise Riopelle (21 ans).

Son contenu

« Rejetons de modestes familles canadiennes-françaises, ouvrières ou petites bourgeoises, de l'arrivée au pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités. Colonie précipitée dès 1760 dans les murs lisses de la peur, refuge habituel des vaincus; là, une première fois abandonnée. L'élite reprend la mer ou se vend au plus fort. Elle ne manquera plus de le faire chaque fois qu'une occasion sera belle. Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l'écart de l'évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l'histoire quand l'ignorance complète est impraticable. Petit peuple issu d'une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l'invasion de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer 28 en ces lieux bénis de la peur (c'est-le-commencement-de-la-sagesse!) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe.

Héritières de l'autorité papale, mécanique, sans réplique, grands maîtres des méthodes obscurantistes nos maisons d'enseignement ont dès lors les moyens d'organiser en monopole le règne de la mémoire exploiteuse, de la raison immobile, de l'intention néfaste. Petit peuple qui malgré tout se multiplie dans la générosité de la chair sinon dans celle de l'esprit, au nord de l'immense Amérique au corps sémillant de la jeunesse au cœur d'or, mais à la morale simiesque, envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d'œuvre d'Europe, dédaigneuse des authentiques créations de ses classes opprimées. Notre destin sembla durement fixé. »

Son interprétation :

Le jour de l'anniversaire des soixante-dix ans de la publication de ce manifeste, la conservatrice de l'art moderne au Musée National des Beaux-Arts du Québec (MBNAQ), Anne-Marie Bouchard, a bien résumé l'essentiel de la signification de cet événement. Lisons-la dans le texte :

« Le texte de Borduas Refus global est un manifeste au ton à la fois lyrique et virulent qui dénonce l'état d'ignorance dans lequel les élites religieuses et politiques maintiennent la population. Il souhaite libérer le peuple et l'art d'un carcan idéologique hérité de la colonisation et de l'histoire politique et religieuse du Québec. En ce sens, le manifeste pose des revendications qui vont nettement au-delà de la question de la liberté d'expression de l'artiste, pour s'inscrire dans la lignée des manifestes politico-artistiques européens, par exemple ceux des futuristes, des dadaïstes et des surréalistes. Le contenu éclectique du recueil, directement lié aux activités multidisciplinaires des membres du groupe, fut accueilli avec circonspection par les commentateurs culturels du temps, peu accoutumés à ce type d'ouvrage. Plusieurs d'entre eux se contentèrent de décrire le contenu pour leurs lecteurs, sans même avoir eu l'occasion de le consulter. D'autres relevèrent la nature inédite de l'objet et son ton revendicateur. »

Sa signification

Refus global est avant tout un constat de la décrépitude de la civilisation chrétienne. Le manifeste décrie le conservatisme de la société québécoise de l'époque surtout dans ses aspects politiques et religieux. Le manifeste invite à rompre avec les valeurs traditionnelles et appelle à la modernité. On veut mettre fin à l'emprise de l'Église catholique romaine sur les consciences et sur la vie des gens. On suffoque de l'alliance des politiciens et des ecclésiastiques qui maintienne la société de l'époque dans la mentalité des perdants, d'être né pour un petit pain et du refus de la modernité et du capitalisme libéral.

Aujourd'hui que retenir de ce manifeste?

Aujourd'hui, nous pouvons nous inquiéter de l'oubli de l'héritage de Borduas et de ses amis qui nous ont légué un texte fondateur de ce que nous sommes devenus. Avec la censure qui revient au galop sous la forme de la défense des droits des minorités, la volonté de certains de faire de l'art pompier, sur commande de nos besoins idéologiques du moment et avec l'uniformisation de la création selon nos besoins marchands et le triomphe de la société du spectacle, nous semblons avoir oublié notre héritage. Mieux encore, nous avons honte de notre héritage comme si celui-ci n'était pas digne de notre époque. Nous ne retournons pas à la préhistoire en revendiquant les droits nationaux des Québécois de souche. Ce qui devrait nous faire honte c'est l'oubli de nos racines. C'est cela le mot juste, Refus global c'est en quelque sorte le symbole de la honte de l'oubli...


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