J'aime l'humour de situation.
Collègue pendant quelques années à la Tribune, mon regretté
ami Claude Léger était un semeur ambidextre de ce type d'humour.
Ambidextre ?
Oui, parce qu'il le faisait bien des deux façons qui me
rejoignent le plus : d'abord, la mise en scène d'une situation comique, puis,
l'autre façon, celle qui consiste à raconter assez adroitement une situation
pour que les images s'imposent à l'interlocuteur et composent un petit film
dans sa tête.
Comme ce jour de canicule où Claude, qui rencontrait des
clients sur la route, est revenu au bureau en sueur. Le dos de sa chemise était
trempé. Une courte discussion suit :
- C'est chaud,
c'est pas possible ! Et en plus, je ne pouvais pas baisser les vitres de
l'auto...
- Pourquoi,
elles sont défectueuses ?
- -Non, mais il
n'était pas question que quiconque croie que je n'ai pas l'air climatisé !
Dans ma tête, c'était parti, l'absurde d'une situation
déroulait un film qui inventait des images au fur et à mesure. Un moment
heureux qui me suit encore, 35 ans plus tard !
Vitres baissées
Avant de poursuivre dans cette voie, je spécifie qu'en
ville, je roule généralement fenêtres baissées lors des chaudes journées d'été.
Je ne sollicite le confort de l'air climatisé que lors des grandes chaleurs
humides ou encore, sur la «grand'route» comme disait mon père.
Je ne veux pas juste sauver ma réputation en spécifiant que
c'est un choix personnel, nenon! Je le spécifie parce que cette habitude ouvre
la porte à une multitude de petits films loufoques qui meublent mes moments sur
la route.
Cela dit, c'est aux intersections que le plaisir s'installe.
Des exemples.
Le parent qui reconduit son ado en écoutant une chanson rap
qui ne sème pas de signes de bonheur sur son visage ! Le son est anormalement
élevé. Je jette un coup d'œil oblique et je m'imagine des scénarios potentiels
de ce qui se passe dans la voiture. J'imagine le père qui se dit qu'il reste
moins de trois kilomètres avant d'arriver à destination. Ou qui tente de se
convaincre qu'au fond, il est un bon père et que son ado retiendra de lui son
ouverture d'esprit. Tout ça alors qu'au fond, il souhaitait surtout un moment
d'échanges avec l'héritier...
Ou encore, j'imagine que le visage fermé de l'ado est une
attitude proposée par la chanson et qu'il s'imagine bien plus grand et fort
qu'il ne l'est en réalité...
Je souris intérieurement.
Intérieurement parce que je ne voudrais pas qu'en plus que
les gens croient que je n'ai pas l'air climatisé, ils croient en plus que je
suis un grand niais qui rit tout seul, pour rien...
Les téléphones
publics
Superman qui se transforme dans une cabine téléphonique, ça
trahit une époque et les plus jeunes ne comprendront peut-être pas de quoi il
s'agit.
De toute façon, que faire des cabines téléphoniques quand
chacun a un téléphone de type mains libres dans l'auto ?
Ce sont ces téléphones qui créent les plus belles histoires
aux intersections !
Par journée chaude, quand l'air climatisé pousse le frais un
peu bruyamment dans l'habitacle, les gens se croient seuls dans un univers
fermé et blindé.
Ils ne réalisent pas que le son du téléphone est bien trop
élevé et que la conversation est parfaitement audible à l'extérieur.
Coin Jacques-Cartier et King, un homme est dans un VUS BMW
aux vitres teintées. Une sonnerie de téléphone attire mon attention. Je ne veux
pas fouiner, mais ne pas entendre est impossible !
Je vous raconte :
Sonnerie. Le gars répond. Le numéro de sa blonde apparaît et
identifie clairement la provenance de l'appel :
- Ouais...
- Salut ! (elle
est plus enjouée que lui !)
- Qu'est-ce que
t'as oublié de me demander ?
- Ouin, ben,
c'est ça. Bon. Ma mère et son nouveau chum seront au BBQ ce soir. Ce n'était
pas prévu, mais on sera 12, finalement...
- Calvère...pas ta
mère ! Je veux dire, ça fitera pas avec les autres pantoute !
- Ben oui, elle
est fine...
- Bon... qu'est-ce
que tu veux ?
- Tu peux faire
un détour par la Liégeoise et acheter un gâteau ?
- Ben, j'ai-tu
le choix ? Je vas passer l'après-midi à courailler partout pour ce BBQ-là,
sibole...
Il est trop concentré sur sa colère pour me voir sourire
pour vrai, cette fois-là...
Le film roule dans ma tête. La lumière vire au vert et
j'invente une conclusion. J'imagine le gars, le soir, qui publie un selfie de
groupe sur les médias sociaux, Sherbière à la main, et insérant le texte
suivant : « La famille et les amis, y a que ça de vrai !
Vivons chaque moment ! Journée juste parfaite !"
Et des dizaines de personnes qui lui envoient des cœurs, des
bravos et des « tu es tellement un bel humain ! »
Le scénario aurait pu être plus court et que les tourtereaux
se laissent un peu avant le souper, aussi !
Bref, je retiens trois choses :
D'abord, le bonheur affiché sur les médias sociaux ne
devrait pas être pris pour une vérité absolue.
Deuxièmement, l'air climatisé dans une voiture peut nous couper
de moments de bonheur savoureux aux intersections.
Finalement, dites-vous que les haut-parleurs de votre
voiture sont installés derrière les panneaux d'isolation de l'habitacle. Ça
crée une belle caisse de résonance !
Autrement, on conduit des téléphones potentiellement
publics !
Clin d'œil de la
semaine
Tu sais que plusieurs personnes dans la file de voitures à
l'intersection sont en train de texter au volant quand tu ne t'aperçois pas que
la lumière a changé parce que tu textes...mais que personne ne klaxonne
derrière ! (l'humoriste Charles Brunet)