Vraiment, il faut se rendre à l'évidence. Trump s'infiltre
partout dans nos vies. Dans nos campagnes électorales et dans nos vieilles
discussions concernant la monarchie. Nous sommes constamment en réaction à
Donald Trump et cela teinte tous nos débats. Cela a été le cas lors de la
dernière visite du roi Charles 1er dans son royaume canadien. Il n'en fallait
pas plus pour relancer les différends vieux comme la terre sur la monarchie et
pour que les souverainistes de tout crin ressortent leurs discours misérabilistes
et victimaires. Trump pour qui, selon les propos des libéraux, la visite du roi
Charles a été organisée, n'a pas semblé apprécié en se faisant entendre sur les
réseaux sociaux à propos du 51e État et du dôme d'or de défense. Faisons le
point ensemble là-dessus si vous le voulez bien ce matin.
Corbo et Le destin du
Québec
Commençons par vous résumer le dernier livre de l'ex-recteur
de l'Université du Québec à Montréal, Claude Corbo, intitulé Le destin du
Québec. Trois axes d'une histoire, publié aux Presses de l'Université de
Montréal en mars 2025. Dans cet ouvrage, l'ancien recteur aborde les enjeux
sociopolitiques et culturels qui jalonnent l'histoire du Québec. Dans une
analyse approfondie, Corbo explore les questions identitaires, économiques et
les dynamiques de pouvoir qui ont façonné la société québécoise depuis la Révolution
tranquille jusqu'à nos jours. Ce livre se veut à la fois un diagnostic des
défis contemporains et une réflexion sur l'avenir du Québec.
Au cœur de son propos, Corbo met en lumière l'évolution de
l'identité québécoise. Il souligne que celle-ci est marquée par une dualité
entre la culture francophone et la réalité d'un Québec multiculturel. Cette
tension est exacerbée par des périodes historiques cruciales, tels que la
montée du nationalisme québécois, les référendums sur la souveraineté et les
évolutions démographiques qui ont modifié le paysage socioculturel du Québec.
Corbo s'interroge sur la capacité du Québec à concilier ces différentes
réalités et plaide pour une redéfinition de l'identité québécoise, intégrant à
la fois l'héritage francophone et les contributions des autres communautés. Il
plaide surtout le fait qu'il n'existe pas de troisième voie entre la
souveraineté et le fédéralisme. Corbo défend fermement l'idée de la souveraineté
pour le Québec, rejetant à la fois le fédéralisme actuel et toute tentative de
créer une troisième voie, qui pourrait uniformiser les relations entre le
Québec et le Canada. Pour lui, l'appartenance du Québec au Canada représente un
frein à son épanouissement et à sa pleine réalisation en tant que nation
distincte.
Corbo soutient que le fédéralisme canadien entrave la
capacité du Québec à affirmer sa culture francophone de même que ses
spécificités politiques et économiques. Il argumente que la structure fédérale
impose des limites à l'autonomie du Québec, rendant difficile la prise de
décisions adaptées aux besoins propres de sa population. Le maintien de cette
association avec le Canada, selon lui, est un obstacle à la construction d'une
identité forte et cohérente qui pourrait permettre au Québec de s'épanouir
complètement. Corbo écarte également l'idée d'une troisième voie, qui
proposerait une relation intermédiaire entre le Québec et le Canada, la
qualifiant de solution dilatoire et illusoire. Il estime que cette option ne
ferait que prolonger l'ambiguïté de la position du Québec sans résoudre les
enjeux fondamentaux de souveraineté et d'autodétermination. Selon lui, seule la
souveraineté pourrait libérer le Québec des contraintes du fédéralisme canadien
et lui permettre de forger son avenir en toute liberté, garantissant la
pérennité de son identité et de sa culture.
Le fédéralisme, un
excellent système politique
Le discours de Corbo fait l'impasse sur les travaux de
nombreux chercheurs qui postulent que le fédéralisme est l'un des meilleurs
systèmes politiques pour répondre aux exigences d'un monde marqué par le
déplacement massif des populations comme chez nous. Alain G. Gagnon qui dans un
livre relativement récent Le choc des légitimités publié aux Presses de
l'Université Laval en 2021 plaide pour que l'on repense le fédéralisme en
fonction des nations qui la composent plutôt que les territoires qu'ils
habitent. S'ajoute à cette myopie intellectuelle de Corbo sur des études comme
celle de Gagnon, les discours misérabilistes et défaitistes des St-Pierre
Plamondon et Bock Côté de ce monde.
Le discours
défaitiste des souverainistes sur le Québec
Depuis la Confédération en 1867, le Canada a progressivement
émis son indépendance de la couronne britannique. Le Statut de Westminster
(1931) a permis au Canada de gérer ses affaires intérieures sans ingérence
britannique, tout en le rendant responsable de ses décisions. Le rapatriement
de la Constitution en 1982 a représenté une étape cruciale, car il a donné au Canada
la pleine maîtrise de sa législation, même si l'on doit prendre note que jamais
le Québec, la nation francophone plus que la province, n'a donné son accord à
ce rapatriement. Le problème était et est toujours que le Canada ne reconnaît
pas dans les faits l'existence d'une nation québécoise au sein du Canada, en
dépit des efforts théoriques d'Alain G. Gagnon par exemple que j'ai cité
auparavant. Cette émancipation politique devrait être perçue comme une occasion
favorable pour avancer sur la voie de la réconciliation, de l'unité et de la
prospérité partagée, tant pour le Québec, pour l'Acadie et pour les nations
autochtones.
Dans ce contexte, la frange nationaliste du Québec, dont
certains membres continuent de revendiquer une victimisation par rapport à
l'histoire, à parfois tendance à fermer les yeux sur les réalisations de la
province. Ce nationalisme exacerbé peut conduire à une polarisation des
communautés québécoises et canadiennes, bloquant ainsi tout dialogue
constructif. Cette approche peut également restreindre la capacité des
Québécois à envisager des rapports plus ouverts et plus inclusifs avec le reste
du Canada.
Pourtant, une nouvelle vision pourrait émerger, une vision
qui valorise la diversité au sein de la cohésion et qui reconnaît les torts du
passé tout en restant ouverte à l'avenir. Le défi réside dans l'acceptation que
le Québec fait partie d'un Canada plus large, tout en ayant ses spécificités
culturelles et linguistiques. Cette acceptation permettrait de neutraliser les
discours victimaires et de promouvoir un engagement constructif dans les
processus politiques.
L'histoire du Québec et du Canada, avec ses ombres et ses
lumières, est un héritage complexe qui mérite d'être examiné avec nuance. La
stigmatisation et la victimisation qui peuvent découler d'une interprétation
rigide du passé ne doivent pas occulter les avancées réalisées depuis
l'émancipation politique du Canada. Le défi consiste à transformer le discours
victimaire en une célébration de diversité, de partage et de coconstruction. En
favorisant l'éducation, le dialogue et la réconciliation, le Québec peut non
seulement embrasser la richesse de son histoire, mais également s'engager
résolument sur la voie d'un avenir prometteur, conforme à une réalité objective
qui reconnaît les contributions et les histoires de chacun. Le rappel de la
déportation des Acadiens, de la conquête, de la répression des patriotes et du
rapatriement de la constitution canadienne sans le consentement du Québec ne
suffit pas à me faire baisser les bras et à ne pas rêver que nous soyons
capables ensemble de remodeler en profondeur le Canada dans le sens d'un
fédéralisme multinational.
La monarchie,
Guillaume le Conquérant et le Québec
Je termine cette réflexion avec une idée qui viendra
relativiser un peu les discours de nos nationaleux sur la monarchie. L'idée
selon laquelle il existerait une filiation entre les Québécois francophones et
les institutions britanniques, en raison de leurs origines normandes partagées
avec Guillaume le Conquérant, est une thèse originale qui mérite réflexion.
Bien que cette perspective ne soit pas fréquemment évoquée dans
l'historiographie traditionnelle, elle permet de poser un regard renouvelé sur
la relation complexe entre les Québécois francophones et les institutions britanniques.
Il est vrai que Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, a profondément
influencé la structure politique et juridique de l'Angleterre à partir de 1066.
D'autre part, plusieurs ancêtres des Québécois francophones d'aujourd'hui sont
issus de la Normandie et d'autres régions de l'ouest de la France. Peut-on pour
autant parler d'une filiation institutionnelle indirecte, voire d'une affinité
culturelle héritée ?
Je n'irai pas jusque-là, mais je crois qu'il y a un peu de
nous, Québécois francophones d'ascendance normande, dans les institutions
britanniques monarchistes que décrient nos leaders nationalistes. Guillaume le
Conquérant, né en Normandie, a joué un rôle essentiel dans l'établissement d'un
rapport de forces qui allait marquer l'histoire de l'Angleterre et, par
extension, celle de la France et du Canada. En 1066, sa conquête de
l'Angleterre a non seulement changé la dynastie régnante, mais a également
introduit un substrat normand dans la culture anglaise, avec ses langues, ses
traditions et ses institutions. C'est lui qui implante le recensement de tous
les citoyens et qui crée l'impôt sur le revenu en quelque sorte.
Au fil des siècles, la Normandie, en tant que province
française, a cultivé un lien culturel fort avec le Québec. Les colons français
qui ont émigré vers la Nouvelle-France au XVIIe siècle portaient avec eux des
éléments de leur héritage normand, influençant la langue, les pratiques et les
valeurs qui caractérisent encore aujourd'hui la société québécoise. La langue
française, dérivée des dialectes normands, s'est ancrée dans le Québec,
survivant à la domination britannique qui s'est établie après la guerre de Sept
Ans en 1763. Cependant, la présence britannique, symbolisée par les
institutions monarchiques et les lois de l'époque, a introduit une dualité. Les
Québécois francophones ont dû naviguer entre leur identité française et la
nouvelle réalité dominée par l'Empire britannique. Cette tension a façonné des
institutions uniques qui ont cherché à préserver la culture française tout en
s'adaptant aux structures britanniques. Ainsi, les racines normandes des
Québécois et l'héritage de Guillaume le Conquérant se mêlent aux institutions
britanniques, créant une identité riche et complexe, reflet d'un métissage
culturel unique à l'histoire du Québec. D'où les passions qui déferlent sur
nous lors de la visite du roi Charles 1er...