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  CHRONIQUEURS / Vivement l'histoire

Notre histoire en archives : les morts infantiles


Par Julie Roy, archiviste-coordonnatrice aux Archives nationales à Sherbrooke
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Bibliothèque et archives nationales du Québec à Sherbrooke Par Bibliothèque et archives nationales du Québec à Sherbrooke
archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Mardi le 14 février 2023

Les statistiques de mortalité infantile au Québec à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle sont dramatiques. En 1899, près de 27 % des bébés nés à Montréal décèdent avant l'âge d'un an; près de 50 % dans la ville de Québec. En 1919, soit 20 ans plus tard, on compte 153 décès de nourrissons par 1000 naissances en moyenne dans toute la province. 

À l'ère de l'industrialisation, les villes ont de la difficulté à s'adapter à l'accroissement exponentiel de la population urbaine : « dépourvues d'installations sanitaires adéquates, de systèmes d'évacuation des eaux d'égout et d'infrastructures d'approvisionnement en eau potable, les villes sont vite devenues des foyers propices aux maladies ». Les maladies infectieuses telles que la diphtérie, la variole, la scarlatine, la typhoïde, la rougeole et la tuberculose font énormément de ravages. La maladie se propage d'un groupe à l'autre, peu importe l'étendue géographique, au gré des contacts. 

Un autre ennemi est la gastroentérite causée par le lait de vache contaminé. Tout le processus d'approvisionnement est insalubre, de la traite des vaches dans les campagnes environnantes au transport sans réfrigération en passant par les bidons non désinfectés: « Le lait contient du fumier, de l'urine, des poils, des poux, des vers, du pus et beaucoup d'autres saletés. [...] 90 % du lait vendu par les fermiers est un aliment sale, contaminé et dangereux... Un véritable bouillon de culture! » 

Enfin, les accidents causent également des décès prématurés. À la ville, la cohabitation des chevaux, des voitures et des piétons n'est pas harmonieuse : les enfants sont happés par une voiture ou même éjectés d'une carriole lorsque le cheval prend peur. À la campagne, les noyades dans les puits, dans des barils servant à recueillir l'eau de pluie ou encore dans des abreuvoirs pour les animaux sont malheureusement courantes. 

Les registres de l'état civil : les traces d'une vie trop courte 

Les familles connaissent des heures sombres lorsqu'elles sont confrontées à la mortalité infantile. Le passage sur terre de ces petits est documenté principalement dans les registres de l'état civil (qui sont numérisés et disponibles sur BAnQ numérique). Par contre, à moins qu'un coroner n'ait été appelé sur les lieux d'un décès pour faire enquête, il est rare de savoir de quelle maladie ou de quelle cause un enfant décède. À l'occasion, certains curés ou révérends s'aventurent à identifier la nature de la mort : citons les pasteurs congrégationalistes Charles S. Pedley et Churchill Moore d'Ayer's Cliff.  

 

 

 

Acte de décès d'Irene Whitehead, décédée à l'âge d'un an et neuf mois de pneumonie lobaire, 1914. Archives nationales à Sherbrooke (CE501, S135). 

 

 

Extrait du rapport de coroner au sujet de Germain Desrochers, 1936, Archives nationales à Sherbrooke (TL227, S26).

 

Fils du poète Alfred DesRochers, Germain se noie à l'âge de sept ans, après avoir glissé en traîneau jusque dans la rivière Magog. La famille habitait alors la rue George à Sherbrooke. Le témoignage du constable no 28 est particulièrement poignant lorsqu'il raconte que « le petit a été trouvé [...] au pied du mur d'une ancienne usine électrique, rivière Magog. [...] Il y avait sur le haut du mur l'empreinte d'une main d'enfant sur la glace ». 

 

Deuil familial et mémoire de l'être cher 

Si les registres de l'état civil et les rapports de coroners sont des sources officielles pouvant nous renseigner sur les décès, d'autres types de documents honorent la mémoire de la personne qui nous a quittés. Les cartes mortuaires, les photos post-mortem, le papier à lettres bordé de noir sont des témoins d'un deuil qui prennent place dans les fonds d'archives de familles. Voici quelques documents, avec les histoires tristes qui les accompagnent. 

 

Triptyque de Jannette Lacharité et sa mère, Marie Fortier, vers 1907. Archives nationales à Sherbrooke (P3). Photographe non identifié.

 

Âgée de deux ans, la petite Jannette est si mignonne lorsqu'elle enlace sa mère. On sent entre elles un fort sentiment d'appartenance. Ce duo mère-enfant, aux gestes tendres et aux regards doux, représente le noyau amoureux le plus puissant au monde. Mais leur vie sereine sera troublée par une séparation brutale : la petite Jannette meurt en 1910, à l'âge de quatre ans, des suites d'une longue maladie. Cette information est dévoilée dans une carte postale envoyée par un curé en soutien à la famille.

 

Il était courant qu'un enfant du même sexe né après un décès se fasse donner le même prénom. Dans ce cas-ci, l'enfant de sexe féminin à naître se prénommera Jeannette (avec l'ajout d'un e comme simple distinction entre les deux fillettes) : elle sera la sœur de Sylvio Lacharité, le grand chef d'orchestre sherbrookois.

 

 

Carte mortuaire d'Émile Lippé, 1885. Archives nationales à Sherbrooke (P39).

 

En juillet 1885, le notaire Hubert Lippé, d'Acton Vale, et son épouse, Arthémise Morier, perdent leur fils Émile, âgé de 22 mois. Arthémise a confectionné cette carte mortuaire personnalisée, ornée de brins d'herbe séchés et de cheveux de l'enfant. Au verso se trouve un touchant et triste poème composé par elle :

 

Hélas! loin de votre caresse,

L'Angélique Enfant s'est enfui!...

Vos bras s'ouvrent avec tendresse

Mais ne se ferment plus sur lui!

 

Cher Enfant! aujourd'hui notre Ange

Nous t'avons donné tant d'amour!

Tu vas nous donner en échange

Ta prière au divin séjour.

 

Émile était le quatrième enfant de la famille qui mourait. Trois mois plus tôt, le couple mettait en terre sa fille de 17 ans. Au cours des années précédentes, deux autres de leurs filles étaient décédées, l'une à cinq ans, l'autre à huit mois. 

 

 

Marie-Anna Stéphanette Masson, [1893]. Archives nationales à Sherbrooke (P1001, S3, D3, P1). Photo : Ula C. Stockwell, Danville.

 

Marie-Anna Stéphanette Masson meurt à l'âge de cinq mois, le 16 octobre 1893, d'une cause inconnue. À l'époque, pour les familles qui en ont les moyens, la photographie post-mortem permet de conserver un souvenir tangible du défunt : « Ses parents, Joseph Masson [un commerçant de Danville] et Marie-Anne Grégoire, commandent un portrait de leur fille chez le photographe Ula C. Stockwell. Stéphanette, probablement vêtue de sa robe de baptême, est allongée les yeux ouverts sur un fauteuil. La mise en scène laisse l'impression que la fillette est vivante, telle que ses parents l'ont connue et aimée. Ce couple venait ainsi de perdre leur quatrième enfant en quatre ans. La mère la suivra dans la tombe trois mois plus tard, laissant dans le deuil son époux et un seul fils survivant de deux ans.

 

La science et l'éducation à la rescousse 

Dès le début du 20e siècle, le développement d'une gamme de vaccins permet de réduire considérablement les morts infantiles associées aux maladies. L'éducation joue un rôle prépondérant afin d'éliminer les pratiques insalubres. 

Quant à la pasteurisation du lait, bien qu'elle soit de plus en plus pratiquée au Québec après la Première Guerre mondiale, il faut attendre en 1926 pour qu'une loi soit adoptée afin de la rendre obligatoire. 

Enfin, en ce qui concerne les accidents causant la mort d'enfants, les recommandations des coroners permettent de corriger des situations jugées dangereuses, évitant ainsi que des situations fatales ne se reproduisent.    

Malgré tout, le décès d'un jeune enfant est toujours un événement difficile, et ce, peu importe les circonstances. L'injustice d'une vie remplie de potentiel happée trop tôt est incompréhensible et particulièrement douloureuse. Les collections de souvenirs familiaux précieusement conservés dans les dépôts d'archives permettent d'apprécier la vie d'une personne, si courte soit-elle, et l'amour qu'elle a inspiré aux membres de sa famille.  

 

Ces archives vous intéressent? Prenez rendez-vous avec nous : 

Les Archives nationales à Sherbrooke sont situées au

225, rue Frontenac, bureau 401

819 820-3010, poste 6330

archives.sherbrooke@banq.qc.ca

 

Autres sources que celles citées :  

Lachance, André, La vie est si fragile... Étude sur la mort violente dans les Cantons de l'Est 1900-1950, Sherbrooke, Éditions GGC, 2002, 209 p. 

Musée canadien de l'histoire, James Trépanier, La vaccination obligatoire dans l'histoire (site consulté le 25 octobre 2022). 

Université de Sherbrooke, Bilan du siècle, « C'est arrivé en 1926 : Adoption par l'Assemblée législative de la Loi sur la pasteurisation du lait » (site consulté le 25 octobre 2022). 



1Jean Milot, « La mortalité infantile au tournant du XXe siècle au Canada français », Paediatrics Child Health, mai-iuin 2010, v. 15 (5).

2 Musée canadien de l’histoire, La lutte pour l’assurance maladie – L’histoire des soins de santé au Canada, 1914-2007 (consulté le 21 octobre 2022).

3 L’Institut Vanier de la famille, Dr Katherine Arnup, Les familles canadiennes, la mort et la mortalité, 2013, p. 7.

4 A. Marien, « L’empoisonnement par le lait », L’Union médicale du Canada, 1907, vol. 36, p. 4-9.

5 Extrait du témoignage de Jean Baptiste Labrecque concernant le décès de Germain DesRochers, 1936. Archives nationales à Sherbrooke (TL227, S26).

6 Chloé Ouellet-Riendeau, Estrie-Plus, « Notre histoire en archives : la photographie post-mortem », 4 novembre 2020 (site consulté le 24 octobre 2022).


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