Mon œil inquiet n'arrive pas à se détourner des élections
américaines. Cette semaine, je lisais que plusieurs croient que le gouvernement
a le pouvoir de détourner la trajectoire des ouragans. Pour le moment, les démocrates
dirigent donc, selon eux, les ouragans vers les états américains considérés
comme des pivots stratégiques pour déstabiliser les républicains.
Donald Trump accuse Kamala Harris de recruter des masses
d'immigrants illégaux parmi les éléments du crime organisé et des gangs de rue de
tous les pays pour semer la pagaille aux États-Unis.
Ce sont deux exemples de désinformation.
Dans l'actuelle dynamique des médias sociaux, les
algorithmes multiplient ces informations selon les habitudes de lecture et les
intérêts de chaque internaute. Ces formidables redistributeurs de nouvelles
viennent remplacer, pour des millions de personnes, les nouvelles proposées par
les journalistes.
Les influenceurs n'ont pas besoin de se soucier de la
vérité, des faits ou même de valider ce qu'ils écrivent et disent. Ils n'ont
qu'un souci en tête : être populaires. Et ils prendront tous les détours,
bien à l'abri des scrupules, pour accumuler et ensuite monétiser leur
popularité.
C'est ce qui m'inquiète le plus des mouvements de la droite
qui se polarise: le souci des faits est nul. Ce qui compte, c'est
d'assouvir le plus de personnes possible à leur doctrine. Et le mot assouvir
n'est pas parent avec le mot convaincre. Il s'agit plutôt de faire en sorte que
ces personnes obéissent au doigt et à l'œil et les suivent dans les plus
extraordinaires aberrations.
Si la mission est réussie, ils compteront sur des millions
de soldats qui se foutront des faits et décideront de croire en tout ce qui est
dit.
Ça me rappelle ces crédos de l'église lorsque les fidèles
répondaient, de façon automatique : « Oui, je le crois »
Les immigrants mangent les animaux domestiques de leurs
voisins! « Oui, je le crois ».
Les gouvernements peuvent créer et orienter des ouragans!
« Oui, je le crois ».
Kamala Harris est une dangereuse criminelle qui importe des
immigrants du crime organisé pour semer le bordel! « Oui, je le
crois! »
Vous l'aurez compris, je n'aime pas les extrêmes. De gauche
ou de droite.
Et je suis inquiet de la tournure de ce que je considère
comme une bêtise humaine menée par un Trump qui promet d'agir en dictateur au
jour 1 de son élection, pendant que les gens l'applaudissent.
Le contrepoids journalistique : la bête à abattre!
Les journalistes font essentiellement l'inverse des médias
sociaux : ils ne font pas que répéter ce que n'importe qui écrit. Ils vont
chercher la nouvelle là où elle est.
Et ils répondent à un code d'éthique : les nouvelles
ont à être vérifiées et validées d'abord. Cette notion est théorique, me
direz-vous, puisque n'importe qui peut, de nos jours, se prétendre journaliste.
Ça amène ce point crucial : il faut aussi choisir le
véhicule de diffusion. Le média. Un reportage journalistique doit se baser sur
des faits. Ou affirmer que telle information n'a pu être confirmée ou infirmée
par des tiers crédibles.
Il faut aussi faire la différence entre un chroniqueur et un
journaliste. Le chroniqueur n'a pas le même devoir de réserve par rapport à son
opinion. Ils pullulent sur bien des plateformes.
Sans les journalistes, la seule information qui sera distribuée
est celle qui émerge par des influenceurs ou des chroniqueurs. Le journalisme
s'intéresse à des communautés, à des enjeux de société. Il creuse et fouille.
Il fait exactement ce que certains politiciens détestent le plus : il
questionne et il défie les idées et concepts. Pour le politicien qui souhaite
s'en tenir à la répétition d'une même ligne et d'un même slogan, c'est gossant!
Ça oblige à s'expliquer, ce qu'ils ne veulent pas faire. Pour bien des
politiciens, l'important n'est pas que les électeurs comprennent le chemin
qu'ils emprunteront. Croire en la destination proposée suffit largement!
C'est le cas de Trump. Et on en a de notre côté de la
frontière.
Je veux bien qu'on soit de gauche ou de droite. Je veux bien
que chacun ait droit à son opinion. Mais on devrait minimalement avoir
l'obligation morale de déterminer ce qui appartient à des faits et ce qui tient
de la chimère.
Croire en quelque chose ne suffit pas quand on pense à un
projet de société.
Clin d'œil de la semaine
Le
rêve américain, version 2024 : une caméra de surveillance personnelle
braquée droit devant soi, un «gun » à la ceinture et allez hop, on s'en va
voter pour notre liberté!