De nouvelles données révèlent que la population québécoise
se sent particulièrement secouée par la pandémie qui sévit, mais que des
mesures de santé publique ciblées pourraient contribuer à amoindrir le
choc.
En juin dernier, l'enquête internationale menée par une équipe de l'Université
de Sherbrooke démontrait que l'anxiété et la dépression occasionnées par la
pandémie étaient manifestes, quoique moins répandues au Canada et au Québec que
chez nos voisins du Sud, les États-Unis. À l'aube de la saison automnale et des
longs mois d'hiver, qu'en est-il de l'humeur de la population québécoise face à
la pandémie? Sept directions régionales de santé publique ont souhaité obtenir
un portrait de la situation actuelle ainsi que des recommandations adaptées à
leurs réalités régionales.
Enquête
complémentaire menée au Québec
▪ Enquête
Web menée par la firme Léger auprès de 6 261 adultes du 4 au 14 septembre 2020.
▪ Sept
régions sociosanitaires du Québec sont représentées : Mauricie-Centre du
Québec, Estrie, Montréal, Laval, Lanaudière, Laurentides et Montérégie.
Sept régions sociosanitaires du Québec sous la
loupe
Pour ce volet complémentaire à
l'étude internationale, on remarque que l'anxiété et la dépression touchent un
grand nombre de personnes au Québec. En effet, un adulte sur 5 aurait eu des
symptômes compatibles avec un trouble d'anxiété généralisée ou une dépression
majeure au cours des deux dernières semaines.
La situation se corse encore plus
en zone urbaine, en particulier à Montréal, où pas moins d'un adulte sur 4
aurait eu des symptômes d'anxiété ou de dépression au cours de cette même
période.
« Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est que les niveaux
de dépression et d'anxiété au Québec sont actuellement considérablement plus
élevés que ce qui était observé en pré-pandémie. Ces chiffres s'apparentent aux
niveaux observés dans la communauté de Fort McMurray, 6 mois après les feux de
forêt de 2016 », illustre la professeure-chercheuse Mélissa Généreux de la
Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke.
Les jeunes adultes, les anglophones et le
personnel de la santé parmi les plus affectés
Dans l'ensemble des régions, certains groupes de personnes
sont plus touchés par les impacts psychosociaux que d'autres. Les résultats de
l'étude permettent d'en distinguer trois : les jeunes adultes, plus
particulièrement ceux entre 18 et 24 ans, les anglophones et le personnel du
milieu de la santé.
« On découvre que 37 % des adultes de 18 à 24 ans
rapportent des symptômes anxieux ou dépressifs dans les deux dernières
semaines. C'est troublant de voir qu'une portion significative de nos jeunes se
porte mal. Il est tout aussi marquant de constater que les personnes
anglophones ont un risque deux fois plus élevé que les francophones de
présenter des symptômes anxieux ou dépressifs », explique la professeure
Généreux.
Cette différence pourrait s'expliquer
par des répercussions directes plus grandes de la pandémie, plus de stigmatisation,
plus de méfiance envers les autorités, l'utilisation de différentes sources
pour s'informer au sujet de la COVID-19 et plus de fausses croyances chez ces
deux groupes de la population (jeunes adultes et anglophones).
Quelques faits
saillants de l'étude :
▪ Les
personnes qui ont des enfants à domicile et qui vivent des difficultés
psychologiques liées à la pandémie sont touchées uniquement par l'anxiété,
alors que celles dont le niveau d'éducation est faible sont plutôt touchées par
la dépression.
▪ Le
personnel de la santé est plus à risque de ressentir l'impact psychosocial de
la pandémie, et les symptômes dépressifs (24,5 %) sont particulièrement
fréquents chez ce groupe.
▪ La
stigmatisation touche actuellement près d'un adulte sur 10. Les principales
victimes de la stigmatisation sont les personnes ayant eu la COVID-19 ou ayant
été contact avec un cas de COVID-19, les jeunes adultes, le personnel du milieu
la santé, les personnes anglophones, les personnes immigrantes (surtout celles
d'origine asiatique) et les Montréalais. Une telle stigmatisation double le
risque d'anxiété ou de dépression.
▪ À
l'heure actuelle, seuls 2 adultes sur 3
seraient prêts à recevoir un vaccin homologué contre la COVID-19, alors que
16 % le refuseraient et 19 % hésiteraient à le recevoir. La proportion de refus
est en hausse depuis le début de l'été et est nettement plus élevée que ce qui
est habituellement observé pour la vaccination de la petite enfance (moins de 5
%).
▪ Les
facteurs associés aux troubles de santé mentale en temps de pandémie sont les
mêmes que ceux associés au refus de la vaccination. En agissant sur ceux-ci, on
peut donc espérer lutter à la fois contre les problèmes de santé mentale, mais
aussi éventuellement contre la transmission du virus (par de meilleurs taux de
vaccination dans la population).
Quels sont les facteurs qui provoquent ces
troubles de santé mentale?
En temps de pandémie, plusieurs facteurs peuvent augmenter
ou réduire les chances de développer un trouble de santé mentale.
« D'abord, le sentiment de
cohérence, qui est la capacité de comprendre, de maitriser et de donner du sens
aux événements stressants. Ce premier facteur est de loin le plus fortement lié
à la santé psychologique en temps de pandémie. Les personnes qui disposent d'un
sentiment de cohérence élevé sont 4 fois moins à risque de souffrir d'une
dépression majeure.
Le sentiment de cohérence joue un rôle dans la manière dont
les individus s'approprient l'information véhiculée à travers les différents
canaux au sujet du coronavirus. Ainsi, les personnes ayant un faible sentiment de cohérence adhèrent davantage à de fausses croyances, ce qui alimente leur anxiété et leur dépression », précise la professeure Généreux.
En plus du sentiment de cohérence et des fausses croyances,
des facteurs comme se sentir victime de stigmatisation, avoir un faible niveau
de confiance envers les autorités, percevoir la COVID-19 comme une menace
élevée pour soi-même ou sa famille et utiliser régulièrement Internet comme
source d'information au sujet du coronavirus peuvent provoquer l'apparition de
symptômes anxieux ou dépressifs.
Pour minimiser l'impact de la pandémie sur le moral
Outre recueillir des données,
l'équipe responsable de cette enquête émet des recommandations visant à lutter
contre les impacts psychosociaux de la pandémie. « Il est primordial de
reconnaitre l'ampleur des impacts psychosociaux de la pandémie au Québec, ce
que plusieurs appellent la deuxième catastrophe, soutient la professeure
Généreux. Des solutions efficaces existent pour les minimiser. Il suffit d'y
consacrer suffisamment d'effort et de ressources. »
Quatre pistes d'action recommandées
1) Déployer
des équipes spécialisées en psychiatrie au
sein de la population.
2) Mieux
outiller les services de première ligne,
et mettre sur pied un réseau citoyen sentinelle formé en premiers soins
psychologiques.
3) Renforcer
le soutien communautaire en offrant,
entre autres, un meilleur soutien aux travailleuses et aux travailleurs
essentiels, en particulier dans le milieu de la santé.
4) Adapter
les services de base, par exemple,
en implantant des mécanismes pour répondre aux besoins psychosociaux des
groupes en situation de vulnérabilité (ex. : insécurité alimentaire,
itinérance).
À propos du projet de recherche
Une équipe multidisciplinaire de l'Université de Sherbrooke
mène une analyse comparative internationale de l'influence des stratégies de
communication et des discours dans les médias sur la réponse psychologique et
comportementale des populations face à la COVID-19. Cette équipe est composée
des professeurs Gabriel Blouin-Genest (politique), Marie-Ève Carignan
(communication), Olivier Champagne-Poirier (communication), Marc D. David
(communication), Mélissa Généreux (santé publique) et Mathieu Roy (santé
publique), complétée par des chercheuses et des chercheurs internationaux
provenant de sept autres pays.
L'objectif
principal du projet est d'analyser la perception et l'interprétation des
messages de santé publique (Organisation mondiale de la santé et gouvernements)
et d'autres sources d'information (médias et autres) par les citoyennes et les
citoyens ainsi que les effets psychosociaux de la crise de la COVID-19 sur
ceux-ci.