La sirène de Cascades
d'East Angus a hurlé le glas pendant cinq minutes, le 3 octobre dernier. Quelque
180 employés de l'usine de papier ont quitté leur milieu de travail.
L'informatique
a terrassé l'impression sur papier surtout dans le domaine des journaux. Une
foule de sympathisants les ont accueillis à leur sortie pour tourner une des
principales pages de l'histoire de Cascades qui, pendant 125 ans, les a
employés.
À 16 h, précise, la sirène a
annoncé la fin de la production du papier. Rejoints par leur conjointe, leurs
enfants, des parents, des amis, ils ont fait silence. Pour certains, cela
signifiait un changement de carrière. Quelques-uns traverseront le pont pour
travailler à la cartonnerie. D'autres ont décroché des emplois à l'extérieur.
Au moins deux d'entre eux voyageront vers St-Gédéon, d'autres vers Sherbrooke
ou Waterville. Il y a ceux qui vont retourner aux études, peu importe leur âge.
Puis, un grand nombre se retrouvent devant une impasse. Pas de travail pour
eux, même s'ils se sont inscrits au programme de reclassement offert par Groupe
concerté des ressources humaines (GCRH) ! Ils sont trop vieux, pas assez formés
ou ils ne veulent pas déménager, espérant trouver dans les alentours quelque
chose.
Gérald Brochu, technicien en
instrumentation et contrôle, a 27 ans d'ancienneté. Il lui suffira de traverser
le pont pour aller à la cartonnerie. Il y avait déjà passé 15 ans. Julie, la
mère de ses enfants qui a quitté Québec pour s'installer à East Angus, se
réjouissait. « Il reste dans la région, il conserve son réseau d'amis.
East Angus, on l'a tatoué sur le coeur, je suis venue l'appuyer et tous les
autres travailleurs aussi », a-t-elle confié. Pour sa part, Laurianne,
leur fille, soupirait d'aise, malgré le fait que tous les parents de ses amies
se sont replacés à l'extérieur de la municipalité.
Pour Guy Gilbert, les lendemains sont
moins certains. Il est engagé pour quelque temps pour finir le grand nettoyage
de l'usine, mais après, c'est le vide pour cet homme qui y a consacré 31 ans de
sa vie. « Aujourd'hui, c'est des funérailles. La machine no 3,
c'était ma maîtresse. Les amis que tu vois là, je les ai côtoyés plus que ma
femme et mes enfants », a-t-il confié. Poursuivant, il estimait que du
point de vue de sa santé financière, il lui aurait fallu travailler 6 ans de
plus. « On va essayer de trouver autre chose. Je ne suis pas le premier
qui perd son emploi. On va devoir couper dans le gras; on va y aller tranquillement »,
admettait-il philosophe. Il veut vivre à East Angus. Ses implications comme
bénévole, il souhaite les poursuivre auprès des jeunes. « Beaucoup de
jeunes voient ce qui se passe et ils tombent en détresse. Si j'évite un
suicide, j'aurai fait de quoi sur la terre », ajoutait-il pour justifier
son engagement.
Se réconfortant
mutuellement, Noëlla Rowland et Lucille Clayton Hall étaient présentes pour la
dernière heure de l'entreprise. Leur mari, qui ont commencé à y travailler à 18
ans, ont passé plus de 60 ans à la papetière qui par 4 fois a changé de
propriétaire. « C'était des histoires de famille, on a eu de bons moments,
de bons partys », se rappelait-elle. Ces deux femmes ont vu leurs parents, leur
conjoint, leurs fils, leurs petits-fils oeuvrer à l'usine. « Ils ont
laissé leur âme ici, soulignait Mme Hall. Mon mari est mort 3 ans après sa
retraite, il y a 18 ans » a-t-elle confié. « Il y en a qui ont le
coeur amer, soulignait Mme Rowland, mais d'un autre côté, le moulin nous a
fait vivre pendant 125 ans. » Ensemble, elles ont cherché le nom des
quatre propriétaires : Canada paper, St-Laurence, Domtar et Cascades.
« Mon mari avait 4 petites pensions », s'est-elle souvenue.
Denis Alaire a
travaillé pendant 30 ans pour Cascades. À 53 ans, il va suivre une formation en
opération et procédé chimique. « Il y a des débouchés ici ». C'est ce
qu'il a décidé après être passé au coaching offert par GCRH. Karine Lagueux et
sa mère sont venues épauler Ken. « Mon frère travaille ici. C'est difficile ! Ouain ! Tout à fait ! C'est difficile pour la famille
autant au niveau salaire que conditions de travail, je veux dire, quand tu as
des enfants, c'est pas évident sauf que... », laisse-t-elle en suspend. « J'ai
un diplôme en pâte et papier, mais c'est pas le temps ces jours-ci, on va
regarder toutes les options possibles », a poursuivi le jeune père de famille
qui a consacré 13 ans de sa vie à l'usine.
Il n'y avait pas que
de la tristesse chez les gens de la papetière. Certains en avaient gros sur le
coeur. Yves Laflotte en était un de ceux qui ont été déçus de la façon dont ça
s'est passé. Rappelant que la compagnie est obligée de mandater une firme pour
aider les employés à se reclasser, il n'était pas satisfait de la manière dont
il a été traité. D'abord, un CV qui aurait pris 30 jours à arriver. Puis il
constatait que peu de travailleurs avaient été réorientés vers d'autres
entreprises. Enfin, il mentionnait que son fils aurait été découragé de
poursuivre ses études. La goutte qui aurait fait déborder le vase est tombée
quand, durant le minisalon de l'emploi, les représentantes de Domtar auraient
refusé de l'employer à cause de son âge. « La dame a dit: quel âge avez-vous? »
Il a répondu qu'il avait 54 ans. « Chez nous, on a une référence entre 30 et 45
ans », qu'elle lui a répliqué. En colère, il est parti, il a été frappé à la
porte de Waterville TG qui l'a embauché sur-le-champ. « Il ne nous aide pas ce
monde-là », a-t-il conclu dépité. Et s'ajoute à sa frustration le fait que
le grand patron de Kruger aurait promis de prendre des hommes. « Ça fait trois
mois de ça, sais-tu combien ils en ont pris ? Zéro ! » se soulageant du mépris qu'il a
senti de leur part. Malgré ces pénibles péripéties, M. Laflotte était fier
des travailleurs avec qui il était. « Ils se sont tenus debout. Pas de bris,
pas de rejet de papier... on était des employés presque parfaits.
Au bar où s'est enregistrée une partie
des entrevues, l'heure était à profiter du moment pour passer à autre chose,
les discussions allaient bon train, on partageait les souvenirs. Il y aura bien
d'autres matins pour affronter la réalité.