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Censure en période électorale: l'art est mort, vive l’art!

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Photo : Réalisée pour le festival Bohemia au parc Victoria, près du Cégep, rue Terrill, à Sherbrooke, la murale de deux corps féminins vaporeux a beaucoup fait jaser.
Sylvie L. Bergeron Par Sylvie L. Bergeron
Lundi le 25 septembre 2017

La semaine dernière, autour d'une œuvre d'art, on a raté une belle occasion de se taire. Réalisée pour le festival Bohemia au parc Victoria, près du Cégep, rue Terrill, à Sherbrooke, la murale de deux corps féminins vaporeux a beaucoup fait jaser. On en parle encore, et les invectives sur Facebook, entre autres, se comptent maintenant par dizaines.

Sous formes parfois de « montées de lait », les internautes ont réagi en masse aux propos de la conseillère municipale du district du Pin solitaire, qui a lancé la toute première pierre sous prétexte que l'œuvre, installée dans un parc que fréquentent de jeunes familles, pouvait être graffitée en raison de son audace. Bien pris qui croyait prendre, car cette pierre a levé quelques lièvres, et sans doute a-t-elle réveillé dans sa tombe le peintre Henri Matisse, source d'inspiration du jeune tagueur Olivier Bonnard !

Ceci dit, rappelons que de tous les temps, les censeurs ont freiné les élans créateurs des artistes dont un des rôles manifestes consiste à remettre en cause les règles du politically correct. Tributaires du contexte dans lequel ils s'inscrivent, les censeurs ont porté plusieurs chapeaux, embrassé différentes doctrines et suscité maints débats. En plus de défendre en filigrane les « bonnes et les mauvaises moeurs », leurs bravades, quelquefois virulentes, d'autrefois subtiles, ont évoqué dans leur sillage les critères de beauté dont la société s'est dotée au fil de sa lente évolution.

Créé à Rome, en 443, avant Jésus-Christ, ce vocable renvoie donc aux divers moyens de régulation des us et coutumes en société. Il agit surtout comme mode de pression et il suppose à la fois une dimension répressive et une autre liée à l'herméneutique, c'est-à-dire qu'il questionne le sens même de la « chose » que l'on veut dénoncer, décrier, déformer, déclasser, voire disqualifier...

Selon la définition « vulgaire », du nom du prêtre, professeur et poète italien Eugène Vulgarius, il faut donc entendre communément par censure : « une limitation arbitraire de la liberté d'expression. » Altérable dès le départ, cette liberté passe souvent par un tiers. Par ses fonctions, il possède un pouvoir moral sur l'évaluation d'une production et de sa qualité comparative avant sa diffusion à grande échelle.

Si bien que la censure évoque le combat pour la liberté d'expression. Cette valeur sensible des sociétés dites démocratiques remonte aussi loin qu'Euripide, un des trois grands philosophes tragiques de l'Athènes classique, qui se faisait un point d'honneur de défendre la veuve et l'orphelin. Associé rapidement à Socrate qui a été exécuté pour « incitation à la corruption de mœurs chez les jeunes », Euripide a choisi l'exil plutôt que la corde ou le bûcher, afin de répandre ses idées jugées à son époque trop décadentes.

Or, afin de mieux saisir la portée de la censure, épiphénomène névralgique de l'avancement ou du recul de la société, nous pouvons en référer au livre de Robert Darnton, De la censure - Essai d'histoire comparée (2014) ou encore au Dictionnaire de la censure codirigé par Pierre Hébert, Yves Lever et Kenneth Landry. Les « déviations de l'art » que recensent ces trois universitaires québécois ont l'avantage de taquiner la curiosité. À titre indicatif, ciblons quelques cas notoires qui se rapprochent de ce qui aura suscité l'attention des médias et du public dans les derniers jours à Sherbylove.

Pour celles et ceux qui ont la mémoire longue, on se souviendra ainsi qu'à la suite de sa publication, en 1960, Les insolences du Frère Untel de Jean-Paul Desbiens avaient marqué une rupture idéologique au Québec. Pourquoi ? En raison notamment des propos mordants qu'il véhiculait à l'endroit du joual décapant, de l'inculture des enseignants et de la sclérose du système d'enseignement, du conformisme du clergé, fondé sur la peur, puis de l'ineptie de Duplessis, homme de fer du gouvernement de la Grande noirceur...

Dans un autre ordre d'idées, alors que le recueil L'Offrande aux Vierges folles du poète Alfred Desrochers est écarté pour des raisons morales du prix de l'Action intellectuelle, décerné chaque année par l'Association catholique de la jeunesse canadienne, le texte Dans les ombres de sa dauphine Éva Senécal, compte, pour sa part, parmi les titres de la collection « Les romans de la jeune génération » que l'éditeur Albert Lévesque a choisi d'interrompre à la suite de pressions cléricales acrimonieuses.

En ce qui concerne le manifeste Refus global, paru en 1948, soulignons que sa publication a eu de lourdes conséquences sur les signataires automatistes dont Paul-Émile Borduas qui est d'abord suspendu, puis renvoyé de l'École du Meuble où il enseignait depuis 1937. Et que dire du journaliste Pierre Vallières, leader du Front de libération du Québec, dont l'essai Nègres blancs d'Amérique a fait tache d'encre comme saga judiciaire dans les années soixante-dix au Canada français.

Peut s'ajouter enfin à ces exemples le refus très récent, en date du 21 septembre, de la Société de Transport de Montréal, de placarder dans le réseau du métro l'affiche du premier spectacle de la saison des Grands Ballets parce « qu'elle incitait à la violence et minait la dignité humaine.»

Comme on peut le constater, peu importe les motivations des « pourfendeurs de sens », ils nous convainquent aujourd'hui de la justesse des propos de Michel Ange en son temps et qu'un ami a traduit pour nous : « Quel esprit est si vide et aveugle qu'il ne peut reconnaître le fait que le pied est plus noble que la chaussure et la peau, plus belle que le vêtement qui l'habille.»

En clair, si on admet que la censure questionne le sens même de l'art et de la culture à un moment précis de leur évolution, on ne pouvait mieux tomber pour attirer les caméras sur ce secteur d'activités trop souvent pris pour acquis.

Opportune, l'occasion en cette période électorale fait donc le larron. Elle nous permet, en effet, d'interpeller toutes les personnes candidates quant à savoir quelle place donner aux arts et à la culture en ce 21e siècle ? Quelle liberté accorder aux artistes et aux passeurs de culture dans une société moderne et ouverte ? Quel soutien et financement leur octroyer pour leur création et leur apport à la vie démocratique ? Et, en définitive, quelle fonction devons-nous assigner aux arts et à la culture, sachant qu'ils participent à notre qualité de vie et au mieux-vivre ensemble.

Ces questions s'imposent à la veille de choisir des femmes et des hommes à la gouvernance de nos municipalités, instances de proximité. Nous les mettrons d'ailleurs sur la table dans le cadre d'émissions spéciales réalisées en collaboration avec la Radio communautaire CFLX 95,5 FM et le Conseil de la culture de l'Estrie, en octobre prochain.

Pour le moment, rendons à César ce qui appartient à César. Félicitons haut et fort, par exemple, les parents qui permettent à leurs enfants de s'exprimer librement par le biais de la peinture, de la musique, du chant, du théâtre, du cirque, de la poésie...

C'est là un héritage sans commune mesure : il commence à la maison, au sein de la famille, se poursuit dans la cour et à l'école, puis se développe sur les bancs du collège, de l'université ou du travail, pour s'enraciner enfin dans le tourbillon de la vie, ô combien riche de beautés !

Photos dans le texte:

- Sasha Omyshchenko, gracieuseté Les Grands ballets canadiens.

- Les filles des artistes Valérie Paquet et Simon Bergeron. Prestation en famille au Loubards, mardi dernier, lors de l'émissino Arts d'Oeuvres. (Gracieuseté Perry Beaton).      

 


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