Lorsqu'il assiste en 2009 à la présentation de la pièce de théâtre La charge de l'orignal épormyable, une œuvre controversée écrite par Claude Gauvreau en 1956, Simon Beaudry est complètement happé par le propos de l'auteur. Il en fera une installation très riche et par-dessus tout, très personnelle.
La pièce raconte l'histoire d'un gentil géant, qui, brisé par une peine d'amour, choisi de se retirer du monde pour entrer au service de quatre pseudo-analystes du comportement humain. Ces derniers s'en servent comme d'un cobaye, se livrant à des jeux cruels aux seules fins d'illustrer leurs théories fumeuses. La destruction devient alors le seul moyen d'assouvir leur soif de manipulation.*
Lorsqu'il décide d'en faire le sujet d'une exposition, Simon Beaudry s'immerge complètement dans l'univers de Gauvreau; lisant, étudiant, scrutant la vie de celui-ci, allant même jusqu'au mimétisme (coupe de cheveux, coiffure, vêtements), et pseudonyme (Simon-Claude Beauvreau), pour s'imprégner complètement de sa psyché particulière. L'artiste visuel fait rapidement des liens entre les combats de l'homme et celui du souverainisme québécois dans sa quête d'émancipation. Au fil de ses découvertes et de ses expérimentations artistiques, M. Beaudry voit de plus en plus de parallèles entre les deux. « Cette œuvre de Claude Gauvreau parle de liberté, d'un personnage qui tente de sortir d'un asile psychiatrique; dans un autre sens, ça peut aussi être quelqu'un qui tente de se sortir de ses propres peurs, de ses propres limites pour atteindre un espace de liberté plus grand », explique M. Beaudry qui y voit des similitudes avec la relation que vit le Québec avec l'ensemble canadien. « Dans ma quête personnelle artistique, autant comme citoyen, l'indépendance du Québec est au cœur de ma démarche », ajoute-t-il.
L'exposition qui découle de cette démarche est exigeante pour le visiteur, parce que très touffue et détaillée; mais offre toutes sortes de subtilités, de concepts à la fois étonnants et déstabilisants. L'artiste mélange toutes sortes de symboles identitaires (casque de hockey, panache d'orignal, fleurs de lys) et visuellement forts à ses œuvres.
Aussitôt passé le pas de la porte de la salle Fondation J. Armand Bombardier, notre attention est tout de suite captée par cette grosse tête humaine fondue dans le bronze. Faisant office de bélier, fixée au bout d'une poutre de bois, la tête du poète et dramaturge, signataire du Refus Global, Claude Gauvreau, nous lance un regard de feu, déterminé à défoncer des portes derrière lesquelles se trouve cette liberté tant désirée, pièce maitresse de son œuvre méconnue.
Sa première performance, datant de 2014, consiste à essayer de défoncer une porte en fonçant sur celle-ci, tel un bélier, avec pour seule protection un casque de hockey! En a découlé une série de pièces, de photos, et un tatouage sur sa poitrine, tous inspirés de ce point de départ. Plusieurs références documentaires et visuelles font allusion aux nombreux séjours qu'a fait Gauvreau en institution psychiatrique au cours de sa vie. Que ce soient des montages vidéo élaborés et très conceptuels, ou par de courts films dans lesquels on peut voir M. Beaudry personnifier son modèle dans différentes mises-en-scène. Sur ce dernier aspect, l'artiste a fait le choix d'être non seulement le créateur, mais aussi un participant actif dans ses œuvres.
Simon Beaudry est même allé jusqu'à se mettre en scène pour reproduire la mort tragique du poète qui s'est enlevé la vie en 1971, se brisant une côte lors de la performance. En plus d'en présenter la vidéo, il a intégré la radiographie dans son installation. « C'est vraiment l'expo la plus personnelle au sens où il y a beaucoup d'archives et d'artéfacts personnels que j'y intègre. Il y a certains de mes fluides que j'expose dans des fioles; j'ai un recueil de poésie inédit que j'ai écrit, qui, comme Gavreau, n'a jamais été publié de sa vie...moi non plus », raconte M. Beaudry avec une pointe d'humour.
Pour la conservatrice du musée, Sarah Boucher, le choix d'accorder une exposition à Simon Beaudry s'est imposé à elle dès leur première rencontre. « Je trouve qu'il fait les choses différemment. Simon c'est un artiste très intense, il est très créatif, il bouillonne. Il a toujours des idées, et il connaît tellement bien la matière première avec laquelle il travaille, qu'il est capable de faire des liens très facilement. Tout est imbriqué, les amalgames sont positivement utilisés.»
Malgré l'abondance d'information que représente l'exposition Simon-Claude Beauvreau : La charge de l'orignal épormyable, Mme Boucher est convaincue que les gens seront charmés par cette installation hors-normes. « Je pense que le visiteur qui vient au musée avec un minimum d'ouverture va prendre ce qu'il a à prendre et il va laisser le reste. Il y des gens qui vont peut-être passer cinq heures ici, qui vont être absolument fascinés, qui vont vouloir tout lire, tout écouter. Il y a des gens qui vont juste passer dans la salle, ça ne va pas leur parler; c'est dommage mais ça se peut très bien. Pour venir voir cette exposition, il faut être disposé et disponible. »
Une visite au Musée des Beaux-arts de Sherbrooke s'impose donc pour les curieux de découvertes qui sortent de l'ordinaire. Ne serait-ce que pour rencontrer un artiste dont l'œuvre foisonnante se démarque complètement...ou pour voir ce panache serti d'un crâne humain!
*référence: Centre Des Auteurs Dramatiques
L'exposition Simon-Claude Beauvreau : La charge de l'orignal épormyable est présenté jusqu'au 20 mai 2020.
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